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Une prise cachée contre les clubs de baseball indépendant

Revue de presse

Guillaume Piedboeuf, Le Soleil, le 21 avril 2018

Un petit article de loi caché dans le récent budget de 1,3 milliard $ du Congrès américain aura presque assurément un effet négatif sur les finances… des Capitales de Québec.

Visant à permettre aux équipes de baseball affilié de «survivre» en continuant de sous-payer leurs joueurs, le Save America’s Pastime Act, pourrait, ironiquement, tuer plusieurs équipes de baseball indépendant. «On est en contact régulier avec nos avocats et les autres circuits indépendants. On ne l’a vraiment pas vu venir. Il faudra vraisemblablement adapter notre structure salariale», lance le fondateur et commissaire de la Ligue Can-Am, Miles Wolff.

Dans les bureaux des multiples ligues de baseball indépendantes nord-américaines, c’est un petit branle-bas de combat qui s’est amorcé depuis le 23 mars. Du jour au lendemain, leurs équipes devront vraisemblablement hausser le salaire d’une partie des joueurs de manière significative.

Photo ci-dessus : Le gérant des Capitales, Patrick Scalabrini, croit que certaines équipes ne seront pas en mesure d'augmenter les salaires des joueurs sans mettre en danger leurs finances. (Photothèque Le Soleil, Yan Doublet)

Tout cela en raison d’un changement légal passé en catimini, à la page 1967 d’un document de quelque 2000 pages, dans le récent budget américain. Un budget adopté par le Congrès et ratifié par Donald Trump en quelques jours seulement.

Pour comprendre comment cette provision légale destinée à «sauver» le baseball, «le passe-temps de l’Amérique», pourrait plutôt tuer plusieurs équipes indépendantes, il faut commencer par la genèse du Save America’s Pastime Act.

Démêlés légaux de la MLB
Depuis 2015, les Ligues majeures de baseball (MLB) sont la cible d’une poursuite menée par un groupe de joueurs des ligues mineures jugeant leurs conditions de travail illégales. C’est Garrett Broshuis, un ex-lanceur des filiales des Giants de San Francisco devenu avocat, qui mène la charge. Les joueurs des mineurs travaillent de 55 à 60 heures par semaine, plaide la poursuite. Leur salaire minimum de 1100 $ par mois, qui n’a pas augmenté depuis plus d’une décennie, est donc inférieur au salaire minimum américain de 7,25 $US de l’heure.

Pour se sortir de ce démêlé légal qui pourrait s’avérer fort coûteux, la MLB a investi plus de 1 million $ en lobbyisme auprès du Congrès américain, ces deux dernières années. La ligue a été récompensée, fin mars, par le Save America’s Pastime Act : une exception légale accordée aux équipes de baseball professionnel américaines.

Selon la nouvelle loi, les joueurs de baseball pro doivent être payés, durant la saison régulière, «à un taux qui n’est pas inférieur» à l’équivalent d’une semaine de travail de 40 heures au salaire minimum «indépendamment du nombre d’heures que l’employé consacre à des activités liées au baseball».

Concrètement, les équipes des ligues mineures doivent légèrement hausser le salaire minimum de leur joueur de 1100 $ à 1160 $ par mois, mais la MLB n’a plus à se soucier des enjeux légaux liés au nombre d’heures travaillées. Légalement, au baseball professionnel, le temps supplémentaire n’existe plus.

Sauf que comme la loi touche le baseball professionnel dans son ensemble, les ligues de baseball indépendantes ne sont pas exemptes. Et c’est là que le bât blesse, puisque le salaire minimum est largement sous 1160 $US dans ces ligues où la santé financière des équipes est souvent fragile.

À environ un mois du début de la saison de la Ligue Can-Am, il y a encore «des zones grises et des points d’interrogation» à propos de l’application du Save America’s Pastime Act, estime Wolff. Traduction : les ligues indépendantes travaillent ensemble et avec leurs avocats afin de trouver un moyen de se soustraire à la loi.

Mais qu’arrivera-t-il si elles n’y arrivent pas? «Ça n’aura pas un aussi gros effet sur notre ligue que certaines autres plus petites. La majorité de nos joueurs font déjà plus de 1160 $ par mois», commente Wolff. «Les recrues, notamment, devront être payées davantage, mais ce n’est rien pour nous mettre en faillite».

En théorie, la loi ne touche que les trois équipes américaines de la Can-Am, soit Rockland, New Jersey et Sussex County. En pratique toutefois, tout le monde doit jouer avec les mêmes règles, souligne Wolff. Si les équipes américaines doivent payer leurs joueurs un minimum de 1160 $ par mois, un règlement obligera les trois équipes canadiennes à en faire tout autant. Le salaire minimum, actuellement, est de 800 $ par mois.

Plafond : hausse obligée
Le commissaire n’a pas encore envoyé de directives aux différentes équipes de la Ligue Can-Am. Il admet toutefois qu’à moins d’un renversement de situation, le plafond salarial de 104 000 $ devra être augmenté. Surtout que les équipes, dont l’alignement est de 22 joueurs, ont déjà signé la plupart de leurs joueurs pour la saison qui débute dans un mois.

Le constat n’est pas réjouissant : une hausse des dépenses soudaines pour les Capitales, les Aigles de Trois-Rivières et les Champions d’Ottawa, sans hausse des revenus attachés. Le baseball indépendant est une victime collatérale d’une loi demandée par la MLB pour une raison tout autre, admet Wolff.

Mais il assure qu’il ne faut pas s’inquiéter outre mesure. «Je ne pense pas qu’il y ait de raisons de s’inquiéter pour la survie des quatre grandes ligues indépendantes, soit la Can-Am, la Frontier, l’American Association et la Ligue Atlantic.»

***

UN CASSE-TÊTE POUR SCALABRINI
«Indéniablement, c’est un casse-tête pour nous.» Le gérant des Capitales, Patrick Scalabrini, ne s’en cache pas. Si les équipes de la Can-Am sont bel et bien obligées de payer un minimum de 1160 $US par mois à chacun de leurs joueurs, la gymnastique économique en vue de la saison débutant dans un mois sera complexe.

Scalabrini ne peut que présumer tant que la Ligue Can-Am n’a pas clarifié sa situation en regard du Save America’s Pastime Act. Après tout, les équipes n’ont pas encore reçu de directives. Le salaire minimum est, jusqu’à preuve du contraire, de 800 $ par mois.

«Pour le moment, j’ai six joueurs qui sont en dessous de 1160 $», révèle le gérant. «Si je dois augmenter ces gars-là, c’est une chose de se conformer au plafond salarial, dépendant si la Ligue l’augmente, mais il faut aussi arriver au bout de ligne.»

La saison s’étendant de la mi-mai à la mi-septembre, on peut estimer que l’augmentation salariale, même si elle ne touche que quelques joueurs de l’équipe, équivaut à au moins 5000 $ supplémentaires en dépenses salariales. Un montant qui n’est pas anodin dans un milieu comme le baseball indépendant, où les budgets sont bouclés serrés.

«La vraie question est : est-ce que les équipes sont capables d’assumer ça? Je pense que les Capitales de Québec seraient capables, mais pas nécessairement toutes les équipes», admet Scalabrini.

Dans la bien connue Ligue Frontier, où le plafond salarial est actuellement de 75 000 $ contre 104 000 $ pour la Can-Am, le défi serait de taille, croit le gérant des Capitales. «C’est une ligue qui a des équipes dans de bons marchés, donc ils seront possiblement en mesure de l’encaisser. Mais pour toutes les ligues en dessous de ça, c’est fini si la loi est appliquée telle quelle.»

En vacances au Chili, le président des Capitales, Michel Laplante, n’a pu être joint par Le Soleil.

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.

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