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L’amorti-sacrifice : La stratégie la plus douteuse du baseball

Le baseball de A à Z, une chronique de Sylvain Saindon, collaborateur pour le site de la LBÉQ

Sylvain Saindon Montréal, le 28 juillet 2004 - Enfant, je me souviens de mon premier match de baseball au parc Jarry. Quelle joie d'aller voir les Expos à cette époque! Pour l'occasion, j'avais eu la chance d'assister à la pratique au bâton d'avant match et je me souviens avoir été fasciné par les frappeurs expédiant, à qui mieux mieux, des balles de l'autre côté des clôtures. Wow! Comment pouvaient-ils frapper la balle si loin? Parfois, je la perdais même de vue. Frapper des balles avec autant de force revêtait presque un caractère mythique à mes yeux.

Peu de temps après, je commence à regarder le baseball à la télévision. J'ai l'occasion de suivre plusieurs matchs attentivement, toujours dans le but de voir mes frappeurs favoris expédier la balle au bout du monde! Soudain, surprise! Un jeu tout à fait inattendu : le frappeur se retourne, fait face au lanceur et frappe la balle le plus timidement du monde, juste devant lui… Je venais d'assister au premier amorti-sacrifice de ma vie.

Je me retournai vers mon père et lui demandai : « pourquoi le monsieur avait fait cela. » Il me répondit qu'il l'avait fait volontairement : « il avait fait exprès de mourir afin de faire avancer ses coéquipiers sur les buts. » J'étais bouche bée. Estomaqué. Renversé. Je venais de recevoir une première leçon sur les mille et une stratégies du baseball. Un point de départ pour ma future carrière de « coach ». Wow!

L'amorti-sacrifice : pour ou contre ?
Avant d'aller plus loin, précisons que cette chronique traite bien de l'amorti-sacrifice et non du coup filé, c'est-à-dire un amorti tenté dans le but d'obtenir un coup sûr. Le joueur habile à déposer le coup filé possède un atout indéniable dans son jeu et nous en discuterons ultérieurement. Aujourd'hui, nous traiterons plutôt du cas du frappeur qui se sacrifie afin de permettre à un coéquipier d'avancer de 90 pieds : donc nous parlerons de l'amorti-sacrifice.

Les points positifs
Bien sûr, le but premier de sacrifier un frappeur est de faire avancer ses coéquipiers de quatre-vingt-dix pieds, donc les amener plus près du marbre, devenant ainsi potentiellement des coureurs susceptibles de marquer.

Certains diront aussi qu'un tel jeu impose une forte pression sur la défensive adverse dans une situation de « je n'ai pas le droit à l'erreur », puisque l'on donne, pour ainsi dire, un retrait « si facile ». Évidemment, on parle ici aux niveaux junior et plus. C'est certain que chez les plus petits, le lancer et l'attrapée ayant des taux de réussite à peine supérieurs à celui du Coyote attrapant le Roadrunner, les données sont différentes… Nous en reparlerons un peu plus loin.

Pour chaque erreur d'exécution défensive sur un amorti, on peut facilement retrouver un amorti qui s'est transformé en retrait au bâton ou pire encore qui s'est soldé en double jeu. Mon adhésion à cette notion de pression sur la défensive est donc très mitigée.

Autre élément positif est l'exécution relativement simple de l'amorti sacrifice : on ne demande au frappeur que d'amortir une balle devant lui, un challenge qui se veut beaucoup plus facile que de frapper cette même balle au fond du terrain.

Les points négatifs
Le premier point négatif qui me vient immédiatement en tête est le concept même de ce qu'on demande au frappeur : faire volontairement un mini coup quand le principe même du jeu est de frapper la balle le plus loin possible!

Dans la plupart des cas, le joueur y verra un vote de non-confiance de l'entraîneur à son endroit. En qualité d'ex entraîneur et pour être politically correct, je dirais plutôt que c'est un grand vote de confiance envers le joueur qui suit celui à qui l'on demande de se sacrifier!

En sacrifiant un frappeur, vous perdez une chance de faire des points. Je m'explique : le jeu de baseball vous offre 27 chances (9 manches de 3 retraits) de marquer. À vous de faire le maximum de points avant que vous ayez épuisé vos 27 « chances ». Chaque fois que vous donnez un retrait à l'adversaire, ce sont vos 27 chances qui diminuent.

Exemple : si je commande l'amorti deux fois dans un match et que la défensive adverse retire un de mes coureurs en tentative de vol, c'est trois retraits que j'ai donnés à l'adversaire; il ne me reste donc que 24 chances. En d'autres termes, plus pessimistes ou plutôt plus réalistes, je dirais qu'on nous permet maintenant de frapper un total de huit manches au lieu des neuf prévues!

En commandant un amorti-sacrifice, je place également un stress énorme sur le frappeur suivant, car je lui indique clairement que je le mets directement responsable du ou des points potentiels qui s'en viennent. Cette pression est bien acceptée par certains, moins bien par d'autres.

Autre argument : vous permettez à la défensive adverse de choisir le frappeur qu'elle veut bien affronter. En fait, le premier but qui s'ouvre permet d'affronter ou de ne pas affronter le frappeur suivant immédiat. Un privilège qui peut être très apprécié par une défensive, particulièrement si le fait de donner ce premier but gratuitement (but sur balle intentionnel) provoque une possibilité de double jeu.

À mes débuts comme entraîneur, il m'est arrivé en de maintes occasions d'appeler l'amorti-sacrifice. Ce que je retiens de ces situations est qu'à chaque occasion ou presque, je ne réussissais pas à marquer de point. Devant le peu de réussite de ma stratégie, je suis devenu insécure face à l'amorti-sacrifice. Avais-je appelé le bon jeu? Je doutais… mais, grâce à mon entourage qui supportait l'équipe et qui me répétait sans cesse que c'était le jeu à faire, je me retrouvais réconforté. Les années passèrent et les réussites « c'est à dire compter un point après l'amorti » s'accumulaient au compte-gouttes.

Je me souviens même de mon passage à RDS, comme analyste des joutes des Blues Jays de Toronto, d'avoir comptabilisé avec mon collègue de l'époque, Jean St-Onge, le nombre de fois où il y avait amorti versus le nombre de points en résultant. Remarquez que nous étions dans la ligue américaine où on remplace le lanceur par un des meilleurs frappeurs du club. Eh bien, vous serez surpris d'apprendre que sur 24 amortis comptabilisés, seulement 7 avaient résulté en point.

Il faut cependant faire la distinction entre la Ligue Nationale et la Ligue Américaine. Dans la Nationale, où les lanceurs sont aussi inoffensifs en attaque qu'un sac de sable devant Mike Tyson, ils constituent des retraits plus que faciles. On veut surtout les empêcher d'être « chanceux » et de toucher la balle par accident risquant de frapper dans un double jeu. On préfère donc leur demander de se sacrifier constamment. Et ce, même avec un retrait.

Mais, tout ce que je viens d'énumérer n'est rien comparé à la vérité des chiffres, cette invraisemblance mathématique qui vient trancher tout débat.

Des chiffres pour vous convaincre
En 2002, le magazine Baseball Prospectus, qui s'amuse à faire parler un nombre incroyable de chiffres et de leur donner une saveur plus particulière, comptabilisait les 162 joutes des 30 équipes des ligues majeures pour arriver avec des conclusions chiffrés pour le moins révélatrices.

Le magazine dévoile que pour l'année 2002, dans le baseball majeur au grand complet, lorsqu'un coureur est posté au 1er but avec aucun retrait, l'équipe produit en moyenne 0,896 point.

Avec un coureur au 2e but et un retrait, l'équipe produit 0,682 point !

Oui, oui vous avez bien lu; en moyenne, lorsqu'on sacrifie un retrait pour faire avancer un coureur au 2e but, on vient de perdre 20 % de chance de faire un point!

Certains prétexteront que sacrifier son « pire » frappeur pour faire place à son meilleur n'amène pas les mêmes chiffres et vous avez parfaitement raison. On arrive peut-être avec un % égal ou supérieur. À l'opposée, amortir avec son 6e frappeur pour un frappeur inférieur, soit le 7e de l'alignement, a pour conséquence de diminuer davantage ce pourcentage de point marqué.

Pendant mes années d'entraîneur-chef junior, nous avions des moyennes au bâton collectives de tout près de .300 (versus .265 chez les pros), des dimensions de terrain ou le 9e frappeur de chaque équipe est une menace pour frapper un circuit (l'aluminium aidant). Ajouter le nombre restreint de double jeu tourné par les défensives adverses (3x moins que chez les pros) et des terrains mal entretenus où chaque bond est une invitation à sortir sa carte d'assurance-maladie… Et vous avez là tout ce qu'il faut pour conclure que la perte de 20% annoncée par Baseball Prospectus chez les professionnels devient bien plus prononcée dans le Junior Élite! Voilà pourquoi l'amorti sacrifice ne réussit pas à me charmer!

Les pourcentages de points énumérés ci-dessus sont une moyenne de toutes les opportunités du baseball majeur pendant la saison 2002. L'échantillonnage de matchs disputés est assez élevé pour être significatif. On peut conclure qu'à chaque saison, ces chiffres doivent être identiques à quelques décimales près.

Voici donc le temps du défoulement et de la vengeance…
Je vous l'avais ben dit que ça ne marche pas! Phrase combien répétée à mes anciens assistants-coachs.

Pu capable d'entendre la phrase « on bunt, on a juste besoin d'un point! »…Coudonc, lorsque le coureur touche le 2e coussin, ça donne-tu un point ? Non, il faut un autre coup sûr! … et peut-être même deux pour l'avoir le maudit point! Oups, s'cuser mon langage.

Et comment puis-je oublier mon sympathique partisan de Québec, qui pendant 3 ans m'a sonné les oreilles avec un cri à faire frissonner n'importe quel primate bien attentionné, mais ô combien stratégique de « Fais-lé bunter Saindon » ! Et ce, à toutes les fois et je dis bien à toutes les fois qu'un de mes coureurs atteignait le 1er but !!! Ce partisan, qui venait voir tous nos matches dans le plus beau stade de la province, pendant peut-être les plus belles années de la rivalité Québec-Charlesbourg, n'en revenait toujours pas pourquoi il ne voyait jamais de « bunt » à nos parties. Mince consolation : « …Pis Pouliot yé pareil, y bunt jamais lui non plus ». Nous étions respectivement 1 & 2 au classement général…

Pourtant, pour ce coloré Monsieur, dans l'équipe Moustique BB qu'il coachait, ça marchait les bunts ! Il me l'a affirmé personnellement pendant un délai de pluie. Bien content, mais voyez-vous, si j'ai le choix d'imiter les stratégies des pros ou ceux des Tigers de Saint-Ephrem ! …

À chaque année à la pause du match des Étoiles ce même fidèle partisan est amèrement déçu de voir, qu'après le concours de coups de circuit (qui fait toujours salle comble), il n'y a pas de concours d'amorti-sacrifice….C'est pourtant tellement spectaculaire!

Je me calme…
Je dois vous mentionner que je suis pour l'amorti-sacrifice, en certaines occasions. Cependant, jamais en début de match où on ne sait pas si l'autre équipe va rebondir avec une manche de trois points!

Et même si c'est un très un bon lanceur? Oui, même contre un bon lanceur, car le seul temps où l'on frappe ces bons lanceurs, c'est en début de match, avant qu'ils ne prennent véritablement leur rythme.

Je suis beaucoup plus enclin à sacrifier un frappeur pour faire avancer mon coureur au 3e but! Particulièrement avec deux coureurs sur les buts. Pourquoi?

Parce que j'augmente de beaucoup mes chances de compter un point! Comment?

Premièrement, la défensive joue rapprochée pour couper mon coureur au marbre, donc plus d'espace pour mon frappeur afin de mettre la balle en lieu sûr.

Puis, un ballon-sacrifice me donne un point.

Un coup sûr me donne assurément un point, cette fois-ci!

Une balle échappée ou même jonglée par la défensive me donne encore le point.

La balle passée du receveur est une autre raison qui me motive à choisir l'option du coup retenu. Encore là, il peut y avoir point.

Une feinte irrégulière du lanceur me donne un point.

Vous voyez je ne suis pas si méchant que ça avec l'amorti!

Et le « coach winner » de l'année est…!
Pour terminer, et là, je m'adresse peut-être plus particulièrement aux entraîneurs de niveau mineur, j'aimerais vous raconter cette brève anecdote.

C'est l'histoire d'un de nos kids impliqués dans nos écoles de baseball hivernales. C'était un très bon athlète qui commençait sérieusement à s'améliorer. Il frappait avec force dans la cage des frappeurs. Son pourcentage de bons contacts augmentait à chaque semaine.

Un peu curieux, je lui demandai dans quel calibre il évoluait la saison précédente et quels étaient ses objectifs pour l'été qui approchait. Réponse-choc!

- J'ai joué au soccer l'été passé!

- …excuse-moi, j'ai du mal comprendre… ! T'as pas dit au soccer ! Pas le concurrent direct du baseball!… Pas le sport où tous les joueurs courent après un ballon et qu'à cause d'un pas fin qui kick le ballon dans l'autre sens tout le monde doit changer de direction! Pas le soccer!!!

-…

- Quoi encore…tu t'inscris à nouveau au soccer l'été prochain…tu veux m'achever ou quoi? Explique-moi qu'est ce que tu fais ici, en plein hiver?

- Ben euh, j'aime ça frapper dans la cage. Ouais pis pas l'été?

- L'été, je ne frappe pas. Les deux dernières années où j'ai joué, l'entraîneur me demandait constamment des amortis. Et, parce que je courrais vite, j'étais presque toujours sauf au premier but. Je trouvais ça très plate. Donc l'été, je joue au soccer et au golf. Tu serais surpris de voir comment je tape fort la balle au golf. L'hiver, c'est la planche à neige et les écoles de Baseball!

J'avais donc un jeune qui ne jouait plus au baseball « d'été » à cause d'un coach hautement stratégique, probablement en nomination pour l'obtention d'une quelconque plaque « Coach winner de l'année »!

Ça me rend fou quand je vois un match atome ou moustique où presque la moitié des joueurs ne font que « bunter » et qu'on applaudit à tout rompre la maladresse des enfants en défensive. Oui pour les bons coups frappés par notre équipe, non lorsqu'on tente de profiter de pauvres enfants qui sont en train de développer leur motricité. Qu'on se réjouisse de leur bonne exécution, qu'on sourit de leur maladresse, mais surtout qu'on ne la provoque pas. Surtout quand l'idée a germé dans la tête d'un adulte…

Ai-je besoin de vous mentionner que je bannirais toutes formes d'amortis chez les petits…

Frapper est probablement l'une des meilleures sensations que l'on puisse obtenir au baseball. Avec un nombre limité de matchs sous un climat moins que propice, avec le peu de présence au bâton qu'ils obtiennent pendant l'été…

S.V.P., laissez les jeunes frapper; laissez les jouer !

Prochaine Chronique . : LES COLLÈGES AMÉRICAINS : To go or not to go !

Sylvain Saindon

Remplis sous: Baseball et softball Mots clés:
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  1. Merci Sylvain. Tes textes et intervention sont toujours très formateurs.

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