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Kreuzberg, le Berlin de tous les possibles

Découvrir un ancien quartier ouvrier au charme contestataire

Revue de presse

Gabriel Anctil, Le Devoir, le 9 juillet 2017

Burgermeister, Berlin, Allemagne

Berlin déstabilise. Contrairement à Rome, Paris ou Barcelone, son architecture n’est pas particulièrement tape-à-l’oeil et jolie. Les guerres et les fréquents changements de régime ont fait en sorte que la majorité des édifices de la ville sont relativement récents et ont été construits dans un empressement qui a sacrifié détails et courbes au profit des lignes droites de l’utilitaire. Le touriste n’a donc d’autre choix que de plonger dans les entrailles de cette ville pour espérer en capter la subtile personnalité. Mais les efforts en vaudront pleinement la peine ; le coup de foudre guette à l’horizon. Les créatifs du monde entier ne convergent pas dans la capitale allemande sans raison. Et aucun autre quartier n’offre au visiteur un aussi grand concentré d’originalité que Kreuzberg. Visite guidée dans cet antre de toutes les inventions et de tous les possibles.

Photo ci-dessus : Un petit casse-croûte (en allemand «imbiss») à burgers enclavé sous les rails du U-Bahn, à Schlesische Tor, incarne bien le côté décontracté de Kreuzberg. (Photo : Jacques Lanciault, 2015)
 
L’éternelle rebelle
L’histoire récente de Kreuzberg est parsemée de révoltes. Quartier ouvrier et foyer de vagues successives d’immigrants pendant plus d’un siècle, Kreuzberg s’est retrouvé, à l’érection du mur de toutes les divisions, adossé à celui-ci, coincé dans un coin de Berlin-Ouest. De larges secteurs du quartier furent détruits pour faire place à l’immense zone militarisée qui entourait le mur. Les conditions de vie des habitants du quartier déclinèrent et une pénurie de logements éclata.
 
Devant le manque d’initiative de la Ville, des groupes d’extrême gauche occupèrent des édifices laissés à l’abandon depuis des années, parfois des décennies. Ils les rénovèrent et les habitèrent. Ce mouvement de squatteurs, encore actif aujourd’hui, connut ses heures de gloire dans les années 1970 et 1980, les années punk, et insuffla au quartier son énergie contestatrice et une philosophie d’autogestion qui marqua les esprits. Cet affrontement entre les élites politico-économiques berlinoises et les militants du quartier atteignit son apogée dans la célèbre manifestation du 1er mai 1987, qui dégénéra en une violente émeute où manifestants et policiers s’échangèrent gaz lacrymogènes et moreaux de pavés.

Ces mouvements de contestation très vivants à Kreuzberg attirèrent vers le quartier de nombreux artistes, des punks et des militants pacifistes. La liberté qu’ils trouvèrent dans ce quartier leur offrait un espace de création unique en Allemagne. Cet esprit existe toujours aujourd’hui. Il est incarné par ce mélange très particulier d’artistes, de hipsters, de jeunes familles, d’étudiants, d’expatriés (surtout européens et américains) venus à Berlin pour travailler dans des start-ups, ainsi que de nombreux immigrants, particulièrement turcs, qui y ont élu domicile depuis deux générations.
 
Tous les contrastes de Berlin se retrouvent donc à Kreuzberg, un des quartiers les plus densément peuplés de la ville, mais ils se côtoient dans une grande tolérance. Chacun y trouve sa place. Car Kreuzberg, c’est beaucoup ça : la grande ouverture d’esprit et l’attitude très relax de ses habitants.
 
Parcs magnifiques et murs graffités 
Plus du tiers de Berlin est composé d’espaces verts. C’est certainement l’un des grands attraits de la ville. En cette matière, Kreuzberg est particulièrement choyé. Le quartier est traversé par la rivière Spree ainsi que par le canal de la Landwehr. Autour de ceux-ci se trouvent de superbes parcs. Le Böcklerpark, où par beau temps se prélassent des centaines de buveurs de bière sur les rives d’un lac où se promènent cygnes et bateaux, est particulièrement agréable. Car à Berlin, la véritable reine de la ville, c’est la bière. Il est possible de la déguster dans les parcs, les rues, jusqu’à l’intérieur du métro !
 
L’histoire du Tempelhofer Feld est fascinante. Situé au sud de Kreuzberg, cet ancien aéroport a fait l’objet d’une longue lutte entre des entrepreneurs qui voulaient y construire des tours de condos et des citoyens qui voulaient qu’il devienne un espace vert. Les citoyens ont finalement gagné et envahissent en grand nombre, particulièrement les fins de semaine, cet immense parc. BBQ, concerts et activités y sont organisés l’été.

Le Park am Gleisdreieck vaut également le détour. Inauguré en 2011, ce parc repose sur d’anciens terrains industriels. Y alternent grands espaces verts, skateparks, jeux pour enfants et murs réservés aux graffiteurs, qui y exposent leurs plus beaux traits même s’ils savent très bien que leurs oeuvres auront une durée de vie de quelques heures ou de quelques jours. Jusqu’à ce que le prochain artiste s’y exécute. Une immense brasserie, BRLO, construite à partir de 38 conteneurs, s’y trouve également.
 
Pour tout amateur d’art urbain et de graffitis, Kreuzberg est un véritable musée à ciel ouvert. Ils sont partout, par milliers. Ils ornent les murs des parcs, des lieux publics, les poubelles et la presque totalité des édifices du quartier. Une tradition qui n’est pas près de disparaître.
 
Kreuzberg, comme tous les quartiers cool de la planète, est victime de sa popularité : les prix des loyers augmentent rapidement et chassent tranquillement les artistes et les moins nantis vers de nouveaux territoires berlinois à inventer. C’est donc le moment ou jamais d’y aller et de plonger dans cet état d’esprit alternatif, révolté et créatif, qui a contribué à faire de Berlin l’une des villes les plus avant-gardistes du monde.

En vrac
Marché turc Pour plonger au coeur des saveurs et des odeurs du « Petit Istanbul », rien de mieux que d’aller faire un tour au marché turc de Maybachufer, particulièrement actif les mardis et mercredis, pendant la journée.

Musées
Trois incontournables : le Musée juif de Berlin, oeuvre de l’architecte polonais Daniel Libeskind, propose une expérience physique et émotive, dans une série de salles conceptuelles qui évoquent les horreurs de l’Holocauste. À voir !

À la frontière de Kreuzberg et de l’ancien Berlin-Est se trouve le plus long pan de ce qui fut le célèbre mur de Berlin. En effet, la East Side Gallery expose sur plus d’un kilomètre les oeuvres d’une centaine d’artistes qui ont transformé ce triste symbole en une ode colorée à la liberté.

Le Musée de Friedrichshain-Kreuzberg vous en apprendra plus sur l’histoire unique de ce quartier. L’entrée est gratuite.

Boire et se sustenter 
Il est très facile de se sustenter à bas prix à Kreuzberg, et à Berlin en général. Pour manger une currywurst (saucisse au curry) de grande qualité, une spécialité berlinoise, rendez-vous au restaurant Curry 36. À quelques pas de là, Mustafa’s Gemüse Kebap sert, selon plusieurs, le meilleur kebâb à Berlin.

Sinon, l’artère commerciale principale de Kreuzberg, la rue Oranienstraße, aligne bars et restaurants sur plusieurs pâtés de maisons. Particulièrement enjouée le soir, c’est là que se trouve la légendaire discothèque SO36, témoin des glorieuses années punk du quartier. Pour une brasserie plus intime et quelque peu en retrait, ORA, ancienne pharmacie ayant conservé son décor d’origine, est tout indiquée.

Berlin à vélo
Berlin est une ville très étendue. La parcourir à pied n’est pas toujours la meilleure option. Les transports en commun y sont d’une grande efficacité, mais le vélo reste le moyen le plus efficace de découvrir ses multiples personnalités. Les cyclistes essaiment, sans casque pour la plupart, à travers la ville par milliers. Les pistes cyclables y sont nombreuses et permettent de circuler dans tous les quartiers.

C’est pourquoi Berlin on Bike s’est lancé dans le tourisme sur deux roues. L’organisme propose trois tours guidés d’environ trois heures : Les essentiels de Berlin, Le mur de Berlin (et ce qu’il reste de l’ancien Berlin-Est), ainsi que le Berlin alternatif (ateliers d’artistes, clubs technos, Kreuzberg, graffitis…). Les guides sont de véritables passionnés de leur ville, qu’ils connaissent dans ses moindres recoins.

Coût : 25 euros (vélo compris).

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.

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