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La Pologne entre modernité et conservatisme

Revue de presse

Agnès Gruda, La Presse, le 4 août 2016

Vieille ville de Gdansk, Gdansk, Pologne

La dernière fois, c’était en 2005. Un voyage à travers quelques pays d’Europe centrale m’avait menée jusqu’à ma Pologne natale, qui venait alors d’adhérer à l’Union européenne.

J’ai gardé de ce séjour le souvenir d’un pays bouillonnant, en train d’évoluer à la vitesse grand V. Mais un pays qui ressemblait encore un peu à celui que j’avais connu enfant – avec ses autoroutes embryonnaires entrecoupées de routes de campagne où on pouvait croiser des charrettes et des chevaux. Avec ses restaurants qui ne servaient que deux sortes de vin, le rouge et le blanc, et ses façades défraîchies datant de l’époque communiste.

Photo ci-dessus `Le passé et le futur de la Pologne! (Montage photo : Jacques Lanciault, 2016)

Onze ans plus tard, je viens de découvrir avec ravissement un pays transformé. Des dizaines de milliards de dollars de fonds d’investissement européens ont permis aux Polonais de développer un véritable réseau de voies rapides, Varsovie possède aujourd’hui une trentaine de stations de métro et près de 500 kilomètres de pistes cyclables qui se comparent plutôt avantageusement au réseau montréalais…

Après la crise de 2008-2009, pendant que l’Occident sombrait dans la débâcle économique, la Pologne a battu des records de croissance économique. Et ça paraît. Des gratte-ciel ont poussé dans la capitale, surplombant le vieux Palais de la Culture et de la Science, ce cadeau de Joseph Staline que les Polonais se plaisent à détester. Et qui affiche aujourd’hui un petit air vintage.

Les restaurants sombres et les anciens « bars laitiers » ont cédé la place à des cafés branchés qui servent des cappuccinos, des smoothies et des salades végétaliennes. Quant aux ivrognes d’autrefois, ils ont été remplacés par les joggeurs et les cyclistes.

En d’autres mots, la Pologne a trouvé une certaine douceur de vivre. Les Polonais peuvent aujourd’hui se permettre le luxe de se tenir en forme. Dans les rues, les mines renfrognées ont cédé la place aux sourires. Et le cliché réducteur qui résumait la Pologne par l’équation vodka-pierogis-betteraves n’a de toute évidence plus cours devant la variété d’expériences gastronomiques accessibles dans la plupart des grandes villes du pays.

Mes amis polonais profitent à plein de cette évolution. Ils font du yoga, voyagent à l’étranger, passent leurs fins de semaine dans des chalets à la campagne. À quelques détails près, leur style de vie n’est plus très différent du mien.

Évidemment, tous ne bénéficient pas également de cette prospérité. Le chômage reste élevé et pas loin d’un Polonais sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Mais la Pologne d’aujourd’hui est loin, très loin de celle que j’avais visitée il y a tout juste une décennie.

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Une ombre d’inquiétude plane pourtant sur ce pays transformé. Après des années de mutation sociale et économique, les Polonais ont donné le pouvoir, en octobre 2015, à un gouvernement conservateur qui s’attaque aux institutions démocratiques et tient des discours rétrogrades à faire dresser les cheveux sur la tête.

Le parti Droit et Justice (PiS), majoritaire au Parlement, est dirigé par Jaroslaw Kaczynski, jumeau de l’ancien président Lech Kaczynski, mort dans un accident d’avion à Smolensk, en Russie, en avril 2010. Malgré les enquêtes qui concluent à un accident, des dirigeants du PiS sont convaincus qu’il s’agissait en fait d’un complot russe contre la Pologne.

À la veille de la commémoration de l’insurrection de Varsovie, un des épisodes sanglants de la Seconde Guerre mondiale, le ministre polonais de la Défense, Antoni Macierewicz, a exigé que les noms des victimes de Smolensk soient inclus dans la liste des personnes honorées à l’occasion de cette commémoration. Une demande étrange, puisque les deux évènements n’ont aucun lien entre eux. Mais une façon de transformer en héros de guerre les victimes d’un simple crash… et de ramener insidieusement la thèse du complot à la surface.

Autre déclaration bizarre : le ministre de l’Intérieur, Mariusz Blaszczak, a lié l’attentat de Nice à la réaction trop « moumoune » des Français au lendemain des attentats de novembre. Voyez-vous, après le Bataclan, les gens avaient peint sur les trottoirs des fleurs aux couleurs de l’arc-en-ciel, comme celles qui symbolisent le mouvement LGBT… Oui, oui, c’est vraiment ce qu’a dit le ministre polonais de l’Intérieur quand un attentat terroriste épouvantable a dévasté la France.

Plus grave, la ministre de l’Éducation, Anna Zalewska, a récemment refusé de reconnaître la responsabilité de Polonais dans des massacres commis contre des Juifs pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Cette responsabilité a été historiquement démontrée. Le nouveau Musée de l’histoire des Juifs en Pologne, à Varsovie, évoque ces pogroms comme des faits établis. Le déni de la ministre de l’Éducation marque un recul significatif sur un sujet super délicat.

Ces débats peuvent paraître abscons hors des frontières de la Pologne, mais ils donnent une idée du ton et des préoccupations des nouveaux dirigeants de ce pays.

Quand on y ajoute les purges dans les médias, le projet de loi visant l’interdiction absolue de l’avortement et la réforme menaçant l’indépendance du Tribunal constitutionnel qui a été votée la semaine dernière malgré les menaces de sanctions brandies par Bruxelles, on obtient le portrait d’une démocratie en péril.

La bonne nouvelle, c’est que ces reculs ont soulevé un mouvement de protestation sans précédent dans la Pologne post-communiste. « Je n’aurais jamais cru que je participerais de nouveau à des manifestations », m’a dit une amie qui se souvient de la grande bataille du mouvement Solidarité, dans les années 80. Mais comme le parti au pouvoir contrôle le Parlement, la bataille sera rude…

***

La Pologne n’est pas la seule à voir reculer ses acquis démocratiques. En Hongrie, en Slovaquie, en République tchèque, mais aussi dans plusieurs pays d’Europe occidentale, la droite conservatrice, populiste et autoritaire a le vent dans les voiles.

Les Polonais sont nombreux à regarder aussi avec appréhension ce qui se passe ailleurs dans le monde. En Turquie, où le président Recep Tayyip Erdogan est en train de museler son peuple à la suite du putsch raté du 15 juillet. Ou même aux États-Unis, où l’éventualité de l’élection de Donald Trump pourrait, craignent plusieurs, conduire à une catastrophe planétaire.

Autant mes amis polonais se réjouissent de leurs acquis, autant ils regardent l’avenir avec une bonne dose de pessimisme.

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.

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