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La Sicile, à la fois ouverte et secrète

La région a connu une histoire mouvementée: 16 dominations ont façonné son paysage physique et humain

Revue de presse

Louise Gaboury, Le Devoir, le 7 novembre 2015

Temple dorique de Ségeste, Italie.

« Compliquée », c’est le mot qu’utilise Alessandro Fichera, archéologue né dans l’île mais « exilé » en Toscane depuis plus de 20 ans, pour décrire cette terre faite de cataclysmes, de strates d’histoires et de contrastes marqués.

D’abord, la Sicile est la plus grande île de la Méditerranée. Ensuite, son histoire est une épopée peuplée de hordes d’envahisseurs, et son patrimoine, d’une richesse et d’une densité incroyables. Mais la Sicile, c’est surtout une émotion à fleur de peau. À la fois ouverte et secrète, elle n’est pas si facile d’accès et doit être approchée doucement, en mode slow travel.

Notre photo : Un majestueux temple, presque parfaitement conservé, qui se dresse en pleine nature à Ségeste! (Photo Jacques Lanciault, 2008)

Dur, dur de choisir. Oublier Palerme ? Garder pour la prochaine fois Cefalù, Syracuse, Messine, Catania, Taormina et même la vallée des temples ? Il le faudra bien ! Déjà qu’on doit conjuguer ruines grecques, villes arabes, gastronomie locale, traditions religieuses, fêtes populaires, délires architecturaux, mer amène, cicatrices de séismes et tourisme…

La Sicile a connu une histoire mouvementée : 16 dominations diverses ont façonné son paysage physique et humain. Par exemple, du côté du port, Trapani est résolument arabe et on y mange même du couscous ! Erice garde les traces de l’âge d’or de la période normande, et Favignana aussi.

Dans les îles Éoliennes, comme les Egadi, on pourrait se croire en Grèce, autant que devant l’impressionnant temple inachevé de Segeste. Il y a en Sicile des trésors de l’époque romaine, comme les immortelles mosaïques de la villa romane del Casale.

Autour de Trapani s’alignent des endroits aussi différents que signifiants. Après les îles Egadi et Segeste, il y a Marsala, ville charmante et halte obligée dans le vignoble éponyme…

Tout à côté, une petite balade en bateau emmène les visiteurs à la découverte de l’histoire des plus grandes salines de la Méditerranée, sur lesquelles le soleil se couche dans un décor éblouissant.

À pleurer : les deux Gibellina, l’ancienne et la nouvelle, séparées par un tremblement de terre et des années de galère. Une cité moderne et nue reconstruite artificiellement à une vingtaine de kilomètres de la ville détruite lors du tremblement de terre de 1968, ensevelie sous le béton au nom de l’art…

Les routes traversent des paysages variés, des villages immortels et des montagnes arides, mais aussi de petits lopins de terre, des oliviers, vignobles, vergers et potagers, qui rappellent que la Sicile a été le grenier de l’Empire romain.

Et la mer aussi, tellement présente, accompagne le voyageur.

Un peu partout en Sicile, les citoyens, des hommes surtout, se regroupent en « cercles », sortes de clubs privés qui animent la vie sociale. À Comiso, il y a un « cercle des ouvriers retraités indépendants ». Y fomentent-ils une révolution ? À Ragusa, dans un autre registre, un superbe « cercle de conversation » cache un joli jardin secret.

Autre tradition sicilienne : le théâtre de marionnettes où on joue et rejoue les scènes déchirantes de La chanson de Roland, notamment à Caltagirone, par ailleurs capitale régionale de la céramique. À gravir : les 142 marches décorées de céramique pour admirer la vue.

Les marionnettes siciliennes sont inscrites au Patrimoine de l’humanité, comme d’ailleurs les splendides villes baroques de Noto, Caltagirone, Scicli, Raguse et Modica, la ville du chocolat introduit ici par les Espagnols.

Les fêtes populaires dévoilent un peu de l’âme sicilienne. Il y en a des centaines, toutes plus ou moins liées à la religion. À Trapani survit une étonnante tradition du Vendredi saint datant de l’époque espagnole, au cours de laquelle une vingtaine de scènes sculptées représentant des moments de la vie du Christ, les misteri, quittent l’église des Saintes Âmes du purgatoire pour être lentement transportées dans la ville.

À Comiso, un groupe de citoyens passe toute une nuit à fabriquer un tapis de fleurs qui sera piétiné à la fin de la procession du lendemain.

Et puis, il y a l’Etna, le volcan actif le plus important d’Europe. La montagne. Celle dont les capricieuses éruptions ont redessiné le paysage, qu’on peut découvrir au cours d’une variété de randonnées, des relativement faciles aux plus ardues.

Des personnages plus grands que nature
Les belles rencontres alimentent l’expérience sicilienne. Chacun à leur façon, les Siciliens apportent un éclairage différent sur l’île. Les réponses à des questions font parfois la preuve par l’absurde de l’espèce de résignation des habitants. C’est quoi, ces arbres ? a-t-on demandé à Scicli. « Ce sont les arbres que la commune a plantés. » Ou encore :« Cette île appartient à Marsala, alors il n’y a rien dessus. »

Entre un traversier et un train, une improbable rencontre, celle de Nino Pracanica, installé avec son attirail historico-culturel au château de Milazzo. Ce descendant des Normands débarqués sur l’île il y a quelques siècles se présente comme un professeur de jeu. Il a étudié le mime avec Marceau en France, sait faire de la musique avec un rien, est marionnettiste et fabriquant de masques, et, par-dessus tout, gardien de la mémoire sicilienne.

Pino Lipari est intarissable sur l’histoire et les traditions de Trapani, de l’église des âmes du purgatoire à la tour de Ligny, en passant par le musée régional Conte Agostino Pepoli. Cet artiste sait autant faire le pane cunzato (sandwich de pain chaud garni de thon, de tomates, de fromage et d’origan) que composer des tableaux avec des pierres minuscules et colorées, semblables à celles qu’il cueillait sur la plage, enfant.

Eugenio Piazza porte fièrement à bout de bras la tradition sicilienne des marionnettes. Dans son théâtre de Caltagirone, il recrée les scénarios classiques des batailles médiévales. La tradition des marionnettes n’est pas la même du côté de Palerme que de celui de Catania. Il s’identifie à celle de Catania.

Paola Barrano est une avocate « défroquée » qui a décidé de consacrer son énergie à la promotion des meilleurs produits siciliens dans l’entreprise qu’elle a fondée avec quelques amis, Da Nord a Food. Passionnée d’authenticité, elle s’occupe de la distribution de quelques produits sélectionnés et peut organiser des tournées chez les producteurs et des cours de cuisine.

L’un est fictif, l’autre pas. Salvo Montalbano a été créé de toutes pièces par Andrea Camilleri, Sicilien en chair et en os dont on a dit qu’il avait, avec ses romans, forgé entre la Sicile et le reste de l’Italie un lien plus fort que le pont qui ne se fera peut-être jamais au-dessus du détroit de Messine…

Si Montalbano n’existe pas, pas plus que la ville de Vigata où se passe principalement l’action des romans, la série télévisée qui lui a insufflé la vie a situé l’action dans quelques villes de la côte sud de la Sicile. On retrouve notamment ces décors à Sicli, Comiso, Donnafugata, Ragusa et sa maison sur la plage, et à Punta Secca.

Pour toutes ces traditions, tous ces mystères, tous ces monuments, tous ces paysages et tous ces gens, une seule envie en quittant la Sicile : y revenir !

Et la maf...?
Comment parler de la Sicile sans prononcer le mot de cinq lettres ? Difficile, par exemple, de comprendre l’étendue de l’emprise de la mafia sur l’île. Rares sont les règlements de compte en pleine rue, mais les Siciliens avouent devoir payer des « impôts » en double, à l’état et à la mafia.

Ils le font parce qu’ils sont résignés, mais ils tenteront par tous les moyens de tirer leur épingle du jeu. Ici règne une culture particulière de débrouillardise en réaction à cette organisation tentaculaire. Quand même vu un graffiti noir sur blanc : No Mafia.
En vrac
S’y rendre.
En avion. Il y a des vols notamment vers Palerme et Catania, les deux plus importants aéroports de l’île, avec Alitalia, bien sûr, au départ de Rome, mais aussi avec quelques transporteurs à bas prix, notamment Easyjet au départ de Paris.

En bateau. En saison, on peut gagner Palerme de plusieurs ports, dont Naples et Rome.

Se déplacer. Les transports collectifs ne sont pas très développés. Les trains sont lents. Mieux vaut louer une voiture pour parcourir l’île.

Se loger. À Trapani, le bed & breakfast Ai Lumi a été aménagé dans un palais du XVIIIe siècle situé sur le Corso Vittorio Emmanuele. De la chambre simple à l’appartement familial, toutes les unités sont confortables.

À Comiso, le El Homs Palace, un hôtel moderne classé 4-étoiles, occupe un ancien moulin rénové sur une des rues menant au centre historique.

Se sustenter. Difficile d’évoquer la Sicile sans parler bouffe ! Les Siciliens mangent comme s’il n’y avait pas de lendemain. D’abord, il y a les poissons (oh, le thon !) et fruits de mer, puis les pâtes, bien sûr, dont les busiate (servies avec du poisson ou de la viande), puis les aubergines, les tomates, les oranges et les citrons.

Les rois de la cuisine sont les arancine ou arancini, l’appellation et la recette varient selon qu’on est d’un côté ou l’autre de l’île. Un point commun : c’est le fast-food de la Sicile.

Les Siciliens semblent avoir hérité de la « dent sucrée » des Arabes. La granità, accompagnée d’une brioche, peut leur servir de lunch. Ils aiment aussi les canoli ricotta, la cassatta, la pâte d’amandes et le chocolat de Modica.

Magasinage. Il y a, bien sûr, le Marsala et les vins du pays, les sels naturels et aromatisés de Marsala, les produits griffés authentiquement siciliens (t-shirts, sacs et accessoires divers) de Siculamente, qui a pignon sur rue notamment à Ragusa et la céramique de Caltagirone.

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.

Remplis sous: Italie, Voyages Mots clés:
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