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Langue française : Un égoportrait bien de chez nous

Revue de presse

Catherine Lalonde, Le Devoir, le 16 juin 2015

 Égoportrait de la famille Lanciault, Montréal, Québec

Le Petit Larousse illustré 2016, qui arrivera dans nos librairies le 18 juin, compte 150 nouveaux mots. Parmi les 9 québécismes qui y font leur entrée, on trouve égoportrait, cette francisation de selfie. Un mot qui a fait ses premiers pas dans les pages de votre Devoir, inventé par le collègue Fabien Deglise.

Journaliste spécialisé depuis plus d’une décennie en mutations sociales, observant particulièrement celles qui sont induites par les technologies, Fabien Deglise s’est frotté rapidement, forcément, au mot selfie. « J’ai voulu vite le franciser, s’est remémoré lundi le journaliste, entre autres parce que l’autoportrait proposé comme traduction française ne me semblait pas satisfaisant. Il y manquait toute la dimension narcissique. » Selfie venant de selfish, il suffisait d’une étincelle pour transformer autoportrait en égoportrait. Elle vint.

« J’ai inventé comme ça plusieurs nouveaux mots, a poursuivi le journaliste, souvent pour nommer des concepts culturels américains — si on ne francise pas, on reste prisonnier de concepts culturels importés, qui ne sont valables finalement que lorsqu’on se les approprie. Mais jamais je ne m’imaginais qu’autant de gens allaient utiliser ce mot-là… »

Un chemin de selfie

C’est sur Twitter que Fabien Deglise utilise pour la première fois « égoportrait ». Et c’est par la plume d’Émilie Folie-Boivin, le 6 septembre 2013, que le mot est imprimé dans Le Devoir, alors qu’elle présente le phénomène dans l’article « De l’autre côté de l’égoportrait ». Le néologisme sera bien sûr récurrent dans les chroniques de Fabien Deglise, et défini quelques semaines plus tard comme « une photo de soi, un fragment du quotidien dont on est le nombril, immortalisé à bout de bras par l’entremise d’un téléphone dit intelligent pour être partagé frénétiquement sur les réseaux sociaux afin de se montrer et surtout d’affirmer qu’on existe ».

Le mot, en ces premiers temps, cherche encore son orthographe : il apparaît parfois sous la graphie « egoportrait » et parfois avec un accent.

Mais l’usage se répand comme une traînée de poudre : La Presse, Radio-Canada, Le Journal de Montréal, La Presse canadienne et le Huffington Post adoptent « égoportrait ». On l’entend sur France-Culture, de l’autre côté de l’Atlantique, en décembre 2013. Un parcours d’autant plus rapide que l’originel selfie entre dans la version Web de l’Oxford English Dictionary en août 2013 seulement, année où il est aussi élu « Mot de l’année » du célèbre dictionnaire, puisque son utilisation a augmenté de 17 000 %… en un an !

Égoportraitse retrouvera donc parmi les 150 nouveaux mots du Larousse 2016, dont une dizaine de québécismes fièrement promus par l’Office québécois de la langue française (bidou, chansonnier/chansonnière, lunatique, mot-clic, infonuagique…). Quatre personnalités d’ici (Philippe Couillard, Michel Marc Bouchard, Marc-André Hamelin et Lynda Lemay) sont du contingent des 50 nouveaux noms propres. Égoportrait est traité comme un régionalisme.

Sa définition ? « Québec. Selfie. » Il faut donc feuilleter plus loin, entre les très francos self-government et self-inductance, pour lire sous selfie : « Autoportrait photographique, génér. réalisé avec un téléphone intelligent et destiné à être publié sur les réseaux sociaux. Au Québec, on dit égoportrait. »

« Il ne faut pas oublier qu’on prend souvent le Larousse comme un arbitre, un juge du bon parler, alors que le dictionnaire se veut un portrait, une photo du français parlé actuel, » a rappelé Paule Bolduc, attachée de presse de Larousse au Québec. Un égoportrait de la langue, quoi…

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.

Remplis sous: La folie des mots Mots clés:
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