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Italie – Matera: un paysage à donner le vestige

De miséreuse à bobo, la fascinante transformation d’une ville

Revue de presse

Marine Dumeurger, Libération à Matera, Le Devoir, le 17 janvier 2015

Les Sassi de Matera, Basilicate, Italie.

Grâce à l’engagement de ses habitants, la petite ville troglodyte du sud de la Péninsule, autrefois célèbre pour son insalubrité, a réussi à mettre en valeur son décor biblique, aujourd’hui inscrit à l’UNESCO. En 2019, elle sera capitale européenne de la culture.

Photos ci-dessus : Le village troglodytique des Sassi de Matera en Basilicate est immense. Avant leur expulsion au début des années 1960, quelque 30,000 personnes y vivaient dans des conditions misérables! (Photo Jacques Lanciault 2012)

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Partout des habitations occupent les grottes : les très impressionnants Sassi de Matera!

Parler de Matera dans les années 30, c’était évoquer ses tréfonds de pierre, une ville obscure et laborieuse, façonnée dans la roche et la misère. Mais en l’espace de quelques décennies, cette cité troglodyte a bien changé.

Nichée entre les Pouilles et la Calabre, dans la belle région de la Basilicate, elle offre aujourd’hui une tout autre vision : un chaos grandiose de maisons et d’églises perdues dans un lacis de ruelles creusées à flanc de ravin.

En 1935, l’artiste italien antifasciste Carlo Levi (1902-1975) fut assigné à résidence dans la région pour ses idées. Il y découvre la rudesse des conditions de vie. Dans son livre Le Christ s’est arrêté à Eboli (1945), il parle d’une terre abandonnée des dieux, « sans consolation ni douceur », mais attachante, où il choisit finalement d’être enterré.

Casser des cailloux
Avant la Seconde Guerre mondiale, 15 000 personnes habitent dans les Sassi, ces caves typiques de Matera. Mais la roche, sédimentaire, qui s’effrite comme du sable au point qu’il est possible d’y creuser à mains nues, mène la vie dure aux habitants.

Ils se chauffent au fumier, cohabitent avec leurs animaux domestiques, poules, mulets, cochons, et conservent l’eau de pluie grâce à une immense citerne. Située sous l’habitation, celle-ci rend l’air terriblement humide. Et dans le ravin qui enserre la ville, la malaria, le typhus et la tuberculose rôdent parmi les déchets.

Antoinetta Lapacciana, aujourd’hui âgée de 73 ans, a vécu jusqu’à ses 14 ans dans ce calvaire de pierres. Quand elle se souvient de cette jeunesse à casser des cailloux, son regard se voile et sa voix se charge d’émotion : « Nous étions neuf personnes entassées dans une grotte. Nous travaillions dur, très dur. Il fallait toujours nettoyer l’intérieur, à cause des animaux et de leurs excréments. »

Avec sa famille, elle fut l’une des premières à quitter les lieux : « Nous avons réuni nos affaires, chargé les mules et sommes partis, sans nous retourner. »

Dans les années 50, le président du Conseil italien d’alors, Alcide De Gasperi, revient choqué de ce qu’il surnomme la « honte de l’Italie ». Une loi d’évacuation des Sassi s’ensuit. Sur les hauteurs de la ville, sur ces « Sassi de la honte », sont alors bâties des HLM colorées pour reloger les gens.

La nouvelle Matera est née. Il y a une école, un cinéma, du confort, de la modernité. En contrebas, l’ancien quartier est vidé et devient un secteur à éviter, squatté et mal famé.

Mais l’antique Matera résiste. Raffaello De Ruggieri est l’un des premiers à réinvestir la zone. Cet avocat, passionné de culture et d’art, oeuvre beaucoup pour la vieille ville.« Avec notre association, la Scaletta, nous avons voulu répondre à cette question existentielle : qui sommes-nous ? Sommes-nous des enfants de la misère ou des enfants de l’histoire ? »

En 1970, il publie un manifeste et invite les artistes à sauver Matera. Quelques années plus tard, une exposition de sculpture contemporaine est installée sur le territoire en friche.

Depuis, elle a lieu tous les ans, organisée par le Musma, le musée d’art contemporain de sculptures de la ville, et chaque artiste exposé fait don d’une oeuvre.

Puis, à l’art succède la politique : en 1981, le premier chantier de réhabilitation est lancé et une loi d’assainissement est votée. En 1993, c’est la reconnaissance internationale : Matera est classée à l’UNESCO.

Aujourd’hui, la moitié des 30 hectares de Sassi est rénovée. Elle abrite quelques milliers d’habitants et accueille toujours plus de touristes. Au risque de se transformer en ville-musée, Matera conserve vraiment quelque chose de magique.

Peut-être est-ce dû à son histoire, terriblement touchante. Peut-être à ses dizaines de lumières qui s’allument quand le soleil disparaît. Ou à ses câpriers et figuiers sauvages qui s’évadent des murs.

Au gré d’une balade dans cet univers de pierre tout hérissé de cactus, on marche sur le toit d’une maison, d’une église, d’un palais.

On peine à deviner les trésors cachés sous nos pieds. « On recense 150 églises dans les environs mais, en vérité, on ne sait pas vraiment combien il y en a. Parfois, on fait des travaux et on en découvre une nouvelle », raconte Dora Cappiello, une guide originaire de la ville.

Construits par des communautés monastiques, des ermites ou des bergers, ces lieux de culte renferment quelquefois des pépites, telles ces fresques de style byzantin représentant des personnages aux doigts étrangement longs et fins et aux visages stupéfaits.

Le décor biblique de Matera ne pouvait pas laisser indifférent. En 1963, Pier Paolo Pasolini y tourne L’Évangile selon saint Matthieu ; en 2003, Mel Gibson réalise La passion du Christ.

Bien d’autres réalisateurs tombent sous son charme, mais aussi des artistes, des architectes. Et, en octobre dernier, la ville a été choisie pour être la capitale européenne de la culture en 2019.

« Matera la miséreuse » devient « Matera la bobo ». L’ancien palais Pomarici abrite désormais le Musma et, blottie au creux de la terre, la casa cava, une ancienne carrière, cache un auditorium à l’acoustique parfaite. En bas de la cité, dans un Sassi autrefois connu pour être l’un des plus glauques, un hôtel 4 étoiles reproduit l’habitat typique en version luxe et facture la nuit entre 150 et 1000 euros.

Non loin de là, dans sa petite maison impeccable, Antoinetta, elle, vit toujours dans la même banlieue, celle où elle a été relogée avec sa famille. Depuis tout ce temps, elle n’a jamais voulu remettre les pieds dans ces Sassi où elle a grandi.

Trop de mauvais souvenirs, sans doute. « Il faudrait me payer bien plus cher pour que j’aille passer la nuit là-bas », sourit-elle.

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault

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