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De l’Irlande à l’Islande avec une pincée de Celte

Revue de presse

Gary Lawrence, Le Devoir, le 8 mars 2014

Château de Kylemore, Connemara, Irlande

Qu’ont en commun l’Irlande, l’Islande et l’Écosse ? Toutes trois gardent des traces, à divers degrés, de la culture celte, et toutes trois sont reliées par une inoubliable croisière de la Compagnie du Ponant, réputée pour ses ravissants « yachts-boutiques ». Compte rendu d’un enivrant périple de huit jours en mer et sur terre.

Photo ci-dessus : L’abbaye de Kylemore, dans le Connemara, fut d’abord construite comme résidence privée par un riche politicien anglais pour son épouse, en 1867. (Photo Jacques Lanciault, 2013)

— Chauffeur, emmenez-moi au pub le plus proche ! Mon bateau quitte bientôt l’Irlande et je n’ai pas encore eu la chance de m’offrir une pinte de Guinness !
— Dans combien de temps votre navire lève-t-il l’ancre ?
— Dans 45 minutes !
— Alors vous avez amplement le temps pour trois pintes…

D’autant plus le temps que j’avais une de ces soifs à étancher. Pensez : l’été dernier, le soleil n’avait pas été aussi radieux, au-dessus de l’île Émeraude, depuis l’année du dernier référendum au Québec. C’est dire…

En ce pétulant mois de juillet, les Irlandais — mais aussi les Écossais et les Islandais — n’en pouvaient plus de sauter d’une tache d’ombre à l’autre, d’appliquer du baume sur leurs insolations et de jouer du coude pour se procurer le dernier tube de crème solaire disponible en pharmacie.

Quelques jours plus tôt, je m’étais même senti à des années-lumière du pays des fées et des leprechauns en traversant la forêt de bambous de Glengarriff, mignarde petite bourgade irlandaise, et en arpentant les sentiers bucoliques de l’île voisine de Garinish, couverte de jardins à l’italienne. Il ne manquait plus que les pins parasol, les cyprès et un petit blanc frais de Vernaccia di San Gimignano pour que je me téléporte carrément en Toscane.

Dans l’emblématique région du Donegal, ce fut rebelote solaire, voire balnéaire : les plages de Glencolmcille et de Malinbeg étaient si invitantes qu’elles auraient fort bien pu se trouver quelque part en Méditerranée, la canicule aidant. Quant à l’île sacrée d’Iona, dans les Hébrides écossaises, même MacBeth et les autres rois d’Écosse devaient y avoir chaud, six pieds sous terre.

Certes, le Gulf Stream faisait son oeuvre ; mais n’avais-je pas pris la peine de réserver une place sur une croisière ayant pour thème la culture et l’héritage des Celtes, un peuple plus connu pour sa maîtrise du bronze que pour sa propension à se faire bronzer ?

Larguer les amarres
C’est à Glengarriff que j’ai attrapé au vol le Soléal, splendissime navire de la Compagnie du Ponant, alors qu’il mouillait dans sa bucolique baie entourée de verts tendres d’Irlande. Parti quelques jours plus tôt de Lisbonne avec escale à Porto, cet élégant yacht de croisière, à la taille modeste et au design stylé, avait pour destination finale Reykjavik, en Islande.

Évidemment, je m’étais pourvu de chandails en mérinos, d’un solide imper-respirant antigrain, de quelques laines polaires et d’une bouteille de Laphroaig 10 ans d’âge. Au final, c’est ce dernier accessoire qui m’aura le plus servi, pas tant pour alimenter mon radiateur que pour marier en bouche les notes amarinées de ce scotch tourbé avec le parfum des embruns, alors que je demeurais accoudé au bastingage du balconnet privé de ma luxueuse cabine.

Même si le beau fixe tropical perdurait, le thème celte de la croisière a bientôt commencé à émerger à bord, tantôt grâce aux chants gaéliques et aériens de la harpiste Cécile Corbel, tantôt grâce aux musiques celtiques du trio breton Tri Yann, qui se sont tous deux produits en soirée dans l’auditorium.

Sur la terre ferme, Molly Malone s’est invitée à bord de l’autocar qui m’a fait traverser le Donegal, comté irlandais aux falaises vertigineuses et aux traditions bien ancrées dans l’instant présent… avant que s’impose Michel Sardou, quand la guide francophile a entonné Les lacs du Connemara : « Terre brûlée au vent/Des landes de pierres/Autour des lacs/C’est pour les vivants/Un peu d’enfer… »

S’il est une région qui incarne bien l’idée qu’on se fait de l’Irlande dans toute sa rudesse et sa viscérale authenticité, c’est bien cette âpre et sauvage terre, où l’esprit s’égare vite en longues envolées romanesques, où le gaélique fleurit toujours, où les loughs aux eaux noires rivalisent de beauté avec les sombres collines rocailleuses.

« Ici, les croyances sont si fortes qu’on peine parfois à couper un arbre, même pour construire une route, si on pense que ça peut porter malheur », explique la guide. Rien là de bien surprenant quand on sait qu’il arrive encore parfois, lorsqu’on tranche à la pelle un bout de tourbe, qu’on trouve quelque objet précieux qu’y cachaient les Celtes en guise d’offrandes.

Passe-moi le Celte
Mais que viennent donc faire le Portugal et l’Islande dans cette galère celte ? La raison en est que les Lusitaniens, ancêtres des Portugais, auraient des origines partiellement celtiques, tandis que l’Islande, pays éminemment scandinave, compte un peu d’Irlande dans son ADN grâce aux moines irlandais venus y chercher isolement et recueillement au cours du premier millénaire.

Au-delà de la culture des Celtes, il faut aussi rappeler que cette croisière ne s’intéresse pas qu’à l’héritage légué par cette grande civilisation, qui s’étendait jadis de la Turquie jusqu’aux îles britanniques.

Ainsi, Galway a beau former l’une des capitales culturelles d’Irlande, elle s’est surtout éclatée au son de la salsa et des percussions dignes du noir continent lors de l’escale du Soléal, qui s’est déroulée un soir de festival. Quant à la ravissante abbaye de Kylemore, elle est davantage connue pour ses jardins fortifiés et l’histoire tragique de celui qui l’a fait ériger pour son épouse, décédée lors d’un voyage en Égypte, que pour un quelconque lien avec la culture celte.

Qu’importe le fil conducteur, on ne passe évidemment pas à côté de sites hauts en couleur ou en intérêt s’ils figurent sur un itinéraire naturel. En route pour l’Islande,LeSoléal fait peut-être ainsi escale à Mull, envoûtante île pareille à un amas de Highlands qui se serait détaché d’Écosse, mais aussi à Vestmann, fantasmagorique bloc de lave de 700 000 macareux, 5300 âmes, 500 moutons, 60 chevaux et 14 kilomètres carrés de superficie.

En y arrivant en pleine purée de pois, on apprécie d’autant plus le faible tonnage de ce « yacht-boutique » qu’est Le Soléal : situé au fond d’une baie, le port est relié à la mer par un étroit chenal, d’autant plus étroit depuis que le magma de l’Elgafell est venu le rétrécir lorsqu’il est entré en éruption en 1973.

La mer à boire des yeux
Entre les escales, les heures de navigation sont prétexte à la flânerie ou à l’exploration des ponts du Soléal, pour apercevoir le soleil se liquéfier dans l’océan, la lune arpéger ses reflets sur l’onde changeante de la mer d’Écosse ou les fabuleuses falaises de Moher déchiqueter l’horizon irlandais.

Quant aux jours rompus à fendre les vagues en pleine mer, les uns les passent à fixer méditativement le large depuis les fauteuils moelleux de l’observatoire et ses vastes baies vitrées, tandis que les autres sirotent un thé noir en lisant Joyce, Yeats, Beckett ou quelque autre plume trempée dans l’encre celtique.

D’autres encore profitent de la présence à bord de conférenciers de renom en allant s’abreuver de leurs paroles — et de leurs produits — à l’auditorium. Ainsi, l’auteur Patrick Mahé est-il venu causer du monde celte mais aussi des whiskys écossais, irlandais, bretons et japonais, dégustation à l’appui ; ainsi, le documentariste d’Éric Tabarly, cet incroyable skipper disparu en mer d’Irlande, a-t-il présenté son excellent film ; ainsi, Didier Decoin, celui-là même qui fut gratifié du Goncourt en 1977, a-t-il longuement causé littérature maritime.

« L’océan, dit-il, c’est le cauchemar pour un écrivain. Ce qui est inspirant, c’est la terre, l’île. Pas la mer totale, sans émergence. Hormis le capitaine Nemo, tout le monde veut un point culminant, une falaise, un cap. Car, tout bien réfléchi, la finalité de la mer, c’est peut-être la terre… »

Arrive justement la dernière terre de cette croisière, celle de l’Islande, que je ne verrai qu’à travers le prisme de sa sulfureuse microcapitale, Reykjavik. Aujourd’hui, cette attachante bourgade aux maisonnettes colorées crépite plus que jamais sur les braises chauffées par un soleil radieux, comme il ne l’a pas été depuis que Leif Erikson s’est rendu à Terre-Neuve. Toute la ville est dehors et toutes les terrasses débordent d’enthousiasme… et de gens.

— Chauffeur, vite ! Je n’ai que quelques heures pour admirer votre extraordinaire église luthérienne, boire un verre de vodka filtrée à la roche volcanique et goûter à votre étrange requin faisandé !
— À quelle heure votre navire lève-t-il l’ancre ?
— Hélas, il est déjà parti…

En vrac

Le Soléal. Conçu suivant les mêmes plans que L’Austral, Le Boréal et, en 2015, Le Lyrial, ce superbe navire de 142 mètres et de 262 passagers est aussi agréable à toiser qu’à naviguer. Silencieux, efficace et extrêmement bien insonorisé, il se faufile partout, jusqu’au coeur des villes comme dans les baies les moins profondes, entre les récifs et les icebergs. La clientèle à bord est majoritairement francophone et formée de retraités ou de gens en âge de l’être, mais sur certaines destinations — notamment l’Adriatique — et sous certains thèmes — comme les croisières familiales —, la moyenne d’âge diminue. Le ratio employés/croisiéristes est très élevé et le service à bord, surtout offert en français, est le plus souvent attentionné, sans jamais être ampoulé.

Croisières à thèmes. Cette année, la croisière « Culture celte » marque une pause. En revanche, une foule d’autres thèmes (art de vivre, gastronomie, musique, golf, famille, etc.) sont proposés sur un riche éventail d’itinéraires, partout sur la planète, y compris en régions polaires (Islande, Groenland, Antarctique, etc.). Les prix forfaitaires (compter au bas mot 2500 euros par personne par semaine) comprennent tous les repas à bord et les transferts aux escales, mais pas les excursions (prévoir de 50 à 150 euros).

Gastronomie. S’il est un point d’honneur que se fait la Compagnie du Ponant, c’est bien de satisfaire les papilles de ses croisiéristes. Deux très bons restaurants permettent d’y arriver : Le Pythéas, l’excellent buffet du 6e pont donnant sur une terrasse extérieure, et L’Éclipse, où les mets servis sont d’un niveau encore plus élevé. Le tout est arrosé de « vins croisière » à volonté, en salle comme en cabine, ou de crus vendus à la carte, avec supplément.

Guides. À lire : le Lonely Planet Écosse, très complet ; le Routard Islande, bien à jour, et surtout le splendide Irlande de la collection « Encyclopédie du voyage », chez Gallimard.

Pour consulter une galerie de photos tirées de cette croisière, consultez le blogue« Voyage » de L’actualité. Pour plus de détails, relisez aussi « Inspirantes îles Hébrides intérieures », paru le 10 août dernier en ces pages, et « Le Soléal, dernier-né d’une gracieuse famille », publié le 3 août 2013.

L’auteur était l’invité de la Compagnie du Ponant.

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.

Remplis sous: Irlande, Voyages Mots clés:
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