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L’Accord d’Édimbourg : une entente cordiale qui ouvre la voie au référendum sur l’indépendance

Revue de presse

Camille Brunelle-Hamann, Regard critique, Violaine Ballivy, La Presse, 10 avril 2013

Écosse, Royaume-Uni

La couverture médiatique de la récente visite de Pauline Marois à Édimbourg a rappelé au public québécois le contexte référendaire dans lequel est plongée l’Écosse, où les campagnes du « Oui » (Yes Scotland) et du « Non » (Better Together) s’affrontent en vue du référendum sur l’indépendance prévu pour 2014. Une première étape importante a été franchie le 15 octobre 2012 avec la ratification de l’Accord d’Édimbourg entre les gouvernements britannique et écossais. Aperçu des enjeux qui ont jalonné la route référendaire en ce début de parcours.

Un premier obstacle qu’a rencontré le gouvernement écossais majoritaire d’Alex Salmond dans l’organisation du référendum sur l’indépendance est le droit même de tenir ce scrutin. En effet, le Parlement écossais existe par le biais d’une loi britannique, qui lui octroie des pouvoirs limités. Il peut tenir un référendum sur les questions touchant ses compétences, mais pas sur celles qui risqueraient de modifier l’arrangement constitutionnel britannique, lequel demeure une prérogative du Parlement britannique. Bien qu’Alex Salmond soutînt avoir un mandat référendaire, conféré par la forte majorité parlementaire du Scottish National Party, il ne pouvait pas unilatéralement décider du contenu de la loi officialisant le référendum et en dé- terminer les modalités sans risquer de se retrouver devant les tribunaux.

Le premier ministre Salmond a donc demandé à son homologue de Westminster une modification de la loi afin d’obtenir le pouvoir temporaire et extraordinaire d’organiser ce référendum sur l’indépendance. Plus que constitutionnelle, la question était éminemment politique. S’il avait décidé unilatéralement de la question ou du moment du référendum, le premier ministre britannique, David Cameron, aurait pu gagner sans difficulté le débat juridique, mais il aurait alors perdu la joute politique, remarque le politologue David McCrone, de l’Université d’Édimbourg. Une décision unilatérale aurait eu tôt fait d’accroître l’appui à l’indépendance.

Le dilemme entre constitutionnalité et légitimité politique s’est réglé au terme d’une négociation serrée entre les deux gouvernements afin de s’entendre sur la forme que prendra le référendum. Selon l’Accord d’Édimbourg, le référendum se tiendra d’ici la fin de l’année 2014. Salmond a obtenu le pouvoir temporaire de tenir ce référendum ainsi que la responsabilité de la plupart de ses modalités, alors que Cameron a obtenu que le référendum comporte une seule question.

Les questions... La question
Lors de ces négociations, la question référendaire a sans doute été le principal objet de contentieux entre les deux parties. Le gouvernement écossais avait déjà mis cartes sur table à l’hiver 2012 en présentant l’ébauche de son futur projet de loi sur le référendum et sa question : « Do you agree that Scotland should be an independent country ? ». Il soulignait aussi dans ce document consultatif sa volonté d’inclure sur le bulletin de vote, outre le « Oui » et le « Non », une troisième option : celle de la dévolution maximum, option intermédiaire susceptible de récolter plus d’appui populaire que l’indépendance. Elle impliquerait en effet que l’Écosse reçoive la responsabilité des taxes et des lois, sauf en matière de défense, de relations internationales, de régulation financière et de politique monétaire. Cette stratégie d’inclure l’option de la dévolution maximum visait essentiellement à ne pas tout perdre en cas d’échec, mais aussi à clarifier le vote du « Non ». Car Cameron avait affirmé être ouvert à réformer l’arrangement constitutionnel en cas d’échec référendaire. L’introduction d’une troisième option devait ainsi éviter que celle du

« Non » attire sans distinction les votes pour une réforme constitutionnelle et ceux en faveur du statu quo.

L’Accord d’Édimbourg se sera finalement conclu à l’avantage de David Cameron sur ce point — une seule question donc, et deux réponses possibles, oui ou non. La responsabilité de formuler la question revient toutefois au gouvernement écossais. Son libellé a récemment été soumis à la Commission électorale, tel que le prévoit l’Accord, et le gouvernement écossais a accepté les recommandations émises en janvier dernier. C’est donc la formulation Should Scotland be an independent country? Yes/No qui a été retenue et qui sera soumise aux parlementaires écossais lors du vote qui officialisera les modalités du référendum plus tard au courant de l’année.

À qui le droit de vote?
L’Accord d’Édimbourg remet entre les mains du gouvernement écossais les modalités du droit de vote, ce qui lui permet d’inclure comme il le souhaitait dans son projet de loi référendaire le vote dès l’âge de 16 ans, mais aussi de garder les règles électorales écossaises en vigueur concernant le droit de vote des résidents.

Le fait que ces modalités reviennent à l’Écosse met ainsi fin à un débat portant sur le droit de vote au référendum qui a été mené par les partis écossais travailliste et conservateur. La loi électorale écossaise donne le droit de vote aux citoyens, mais aussi aux résidents de l’Écosse. Cela inclut les citoyens britanniques, mais aussi les ressortissants de l’Union européenne et du Commonwealth qui vivent en Écosse. Or, certains députés critiquaient le fait que les citoyens britanniques originaires de l’Écosse et vivant à l’extérieur du territoire écossais n’auraient pas le droit de vote lors du référendum sur l’indépendance, tandis que près de 60 000 Européens y auraient droit, selon l’estimation de la BBC. Ils proposaient plutôt d’utiliser les règles qui prévalent pour l’élection du Parlement britannique et qui n’autorisent pas les citoyens européens à voter, mais donnent le droit de vote aux expatriés qui ont quitté le pays depuis moins de 15 ans. Pour David McCrone, ce débat relevait davantage d’une tentative de modifier les paramètres du scrutin en faveur du camp du « Non » que d’une véritable remise en question du droit des résidents européens de décider de l’avenir de l’Écosse.

Le flou européen
L’Écosse montre un enthousiasme modéré mais certain pour l’Europe, ce qui tranche avec l’euroscepticisme très présent en Grande-Bretagne. Le plan du gouvernement du SNP prend ainsi pour acquis qu’une Écosse indépendante serait membre de l’Union européenne (UE). Puisqu’il n’existe aucun précédent, les réponses demeurent incertaines quant à la voie que devrait prendre le nouvel État indépendant afin d’obtenir sa place au sein de l’UE. Alex Salmond soutient que les deux États créés par la fin de l’union parlementaire devraient être considérés en tant qu’États successeurs de la Grande-Bretagne, sans avoir à refaire le laborieux processus de candidature. Un scénario mis en doute par Jose Manuel Barroso, président de la Commission européenne, qui a plutôt déclaré en décembre 2012 que l’Écosse devra postuler comme nouvel État et satisfaire aux conditions d’entrée, dont celle de prendre l’Euro comme monnaie. Selon ce scénario, l’unanimité des États membres serait alors requise pour mener à l’adhésion à l’UE. Un appui que l’Espagne pourrait être frileuse à donner, soucieuse du message qu’elle pourrait ainsi envoyer à sa propre minorité catalane, également engagée sur la voie d’un référendum sur l’autodétermination. La Commission européenne est toutefois revenue sur cette déclaration controversée en janvier dernier. Dans une lettre adressée au gouvernement écossais, elle souligne que le commentaire ne s’appliquait à aucun cas spécifique et revient à une position de neutralité. Quoi qu’il en soit, les défis d’Alex Salmond ne prendront pas fin avec une victoire du « Oui » en 2014.

Pour le moment, la question européenne relève de la spéculation, puisqu’un sondage publié le 15 octobre 2012, par Comres/ITV News évaluait à 34 % l’appui à l’indépendance. Il reste donc beaucoup d’Écossais à convaincre, ce qu’Alex Salmond promet de faire grâce à une campagne positive, sans médire de l’adversaire. Pendant ce temps, David Cameron aura tout intérêt à ne pas s’ingérer dans la campagne, ce qui risquerait de stimuler les troupes en faveur de l’indépendance. D’ailleurs, en maintenant son programme d’austérité qui peine à relancer l’économie britannique et en promettant un référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne pour 2017, il est déjà, bien malgré lui, un allié d’Alex Salmond pour promouvoir l’indépendance de l’Écosse.

camille.brunelle-hamann.1@ulaval.ca

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault

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