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La grande creusée – L’apport des travailleurs irlandais dans la construction du canal de Lachine

Revue de presse

Sophie Chartier, Le Devoir, le 16 mars 2013

Malgré les nombreux périls rencontrés au cours de l’histoire, la diaspora irlandaise de Montréal a contribué à façonner la métropole telle qu’on la connaît. À l’occasion de la fête des Irlandais ce dimanche, Parcs Canada a voulu rappeler le rôle majeur de cette fière communauté dans la construction du berceau de l’industrialisation montréalaise, le canal de Lachine. Un joyau du patrimoine canadien à visiter une bière noire à la main et des chants celtiques en tête.

Photo ci-dessus : Illustrated NewsConstruction du canal de Lachine, chantier à l’écluse Saint-Gabriel. (Lachine Canal Enlargement. Work at the St. Gabriel Locks Illustrated News 1877.).

Le typhus, les ghettos d’immigrants, les emplois sous-payés… Quitter les vertes collines de l’Irlande pour le Canada, au XIXe siècle, était d’abord une question de survie. Le chantier du canal de Lachine, ouvert en 1821, a été le lieu de travail de milliers d’immigrants irlandais à la recherche d’un gagne-pain. « On parle de gens qui n’avaient que la force de leurs bras à offrir à un employeur », explique Alain Gelly, historien à Parcs Canada et spécialiste du canal.

Les conditions de travail sur le chantier sont insupportables : de l’aube à la tombée de la nuit, à longueur de semaine, les hommes creusent au pic et à la pelle, dans le roc ou la boue, un fossé long de 14 kilomètres. « Ces ouvriers, dont la majorité arrivait d’Irlande, étaient complètement à la merci des industriels et des grands patrons, rappelle M. Gelly. Ils ne bénéficiaient d’aucune forme de sécurité d’emploi. Souvent, leur salaire n’était même pas versé en argent mais en coupons échangeables dans les commerces de leurs employeurs. »

Dans la foulée de cette ambitieuse construction, le quartier ouvrier de Griffintown naîtra du besoin des travailleurs de se loger tout près du chantier. « Il ne faut pas sous-estimer l’influence du canal de Lachine dans l’essor économique de Montréal, et même du Canada, ajoute l’expert. À cette époque, Montréal était le centre névralgique et commercial du pays ! » Les immigrants irlandais ont risqué leur vie à la tâche, mais leurs efforts et leur recherche d’une vie meilleure ont contribué à la prospérité montréalaise.

Pour sortir du pub irlandais
Jane McGaughey, elle-même de descendance irlandaise, donne des cours sur la diaspora et sa représentation au cinéma, à l’École des études canado-irlandaises de l’Université Concordia. Pour elle, il ne fait pas de doute que le canal actuel est un important joyau patrimonial qui témoigne de la force du peuple irlandais. Mais c’est dans l’héritage immatériel que la fierté des Irlandais d’ici est la plus tangible. Par exemple, le grand défilé du 17 mars, dans la rue Sainte-Catherine, est bien plus une tradition montréalaise qu’une coutume directement venue de l’Irlande. « Notre défilé est le plus ancien, sans interruption, en Amérique du Nord ; il existe depuis 1824, explique-t-elle. Les gens en sont très fiers. »

Outre les célébrations entourant la Saint-Patrick, Mme McGaughey souligne qu’on retrouve la culture de la diaspora dans les nombreux pubs irlandais. « Il y a sans doute plus de pubs irlandais au Canada, aux États-Unis et en Australie qu’en Irlande. » Même si quelques-uns de ces établissements sont restés assez authentiques, plusieurs n’ont d’irlandais que le nom et la célèbre Guinness.

Pourquoi cette communauté a-t-elle si peu de monuments en son honneur reconnus dans la métropole ? Selon Mme McGaughey, on peut expliquer cela par la relative pauvreté de la communauté à travers l’histoire, mais pas seulement. « Vous savez, les Écossais n’ont rien de particulier non plus, mais eux, ils en avaient, de l’argent, lance la professeure en plaisantant. Je crois que ce qui différencie les Canado-Irlandais des Américano-Irlandais, ou encore des Australo-Irlandais, c’est qu’ici les gens sont très fiers de leurs origines, mais ne sentent pas le besoin de prouver qu’ils sont Irlandais. »

Pour Parcs Canada, qui parraine le Lieu historique national du Canal-de-Lachine, il est important de rappeler que celui-ci est aujourd’hui un lieu de plaisance urbain, accessible par l’eau, à vélo ou à pied. « C’est un des lieux patrimoniaux les plus intéressants au pays », commente Alain Gelly.

Jane McGaughey, elle, ajoute qu’il est important de reconnaître l’apport des Irlandais dans l’identité montréalaise et québécoise. « Au Québec, 30 % des gens ont du sang irlandais, affirme la chercheuse. L’histoire des Irlandais fait partie de celle du Canada ; il n’y a pas eu que les Français et les Anglais qui ont fondé ce pays, mais beaucoup d’autres groupes. Et les Irlandais ont joué un grand rôle. »

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La taverne Joe Beef, lieu de ralliement et de réconfort
La Joe Beef’sTavern, qui était située dans l’actuelle rue de la Commune, fut le repaire de la classe ouvrière de la fin du XIXe siècle. Son propriétaire, Charles McKiernan, immigrant irlandais retraité de l’armée britannique, affirmait qu’il ne refusait de servir aucun client, peu importe sa langue ou sa religion.

Chaque midi, la cantine accueillait des centaines de travailleurs affamés. La guinguette abritait aussi une véritable ménagerie comptant des chats, des perroquets, des singes et même des ours. L’ourse Jenny et son goût prononcé pour la bière étaient une réelle attraction dans le quartier !

Lors de la grève du second élargissement du canal de Lachine, en décembre 1877, plus de 1000 ouvriers irlandais et canadiens-français cessèrent le travail pour protester contre des réductions de salaire. Joe Beef offrit alors son appui aux grévistes, les nourrissant gratuitement et en hébergeant même des centaines dans sa taverne.

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.

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