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Aux racines de la cuisine irlandaise

Revue de presse

Mélanie Roy, La Presse 16 mars 2013

(Shanagarry) En Irlande, tout le monde connaît les Allen. Depuis trois générations, Myrtle, Darina et Rachel veillent sur un véritable empire, dont l'ambition est de redorer le blason de la gastronomie irlandaise. Nous leur avons rendu visite.

Dans l'air, des effluves de lait et de sucre s'échappent des cuisines . Une odeur agréablement familière. On tente sa chance: «Crème pâtissière?». Darina Allen, fondatrice de cette école de cuisine asituée dans le comté de Cork, dans le sud-est de l'Irlande, vérifie la liste des plats au menu ce midi-là, puis acquiesce: «Tu as un bon nez! Les élèves préparent des tartes aux poires pour le dessert. Il y a une fine couche de custard dedans.»

Photo ci-dessus : Au coeur de la campagne irlandaise, des chefs cuisinent avec les légumes racines et les algues méconnues depuis des années, et revalorisent du coup la véritable cuisine locale. Maintenant, cela fait école. Notre journaliste, Mélanie Roy est allée sur place et vous donnera certainement envie de découvrir cette cuisine méconnue. (Photo Mélanie Roy, La Presse)

Il est à peine 11 h. Puisqu'il faut prendre notre appétit en patience encore un instant, nous profitons de quelques éclaircies pour nous hasarder côté jardin. Au total, la ferme s'étend sur 40 hectares, dont le dixième est occupé par des potagers, des vergers et des serres. Depuis 1983, année de sa fondation, Ballymaloe (la dernière syllabe se prononce «lou») CookerySchool applique au pied de la lettre l'expression «de la ferme à la fourchette». Les produits maraîchers cuisinés ici sont presque tous issus de la terre de Kinoith: des fruits, des légumes, des herbes en abondance, par dizaines de variétés. Les bovins, porcs, poulets et autres volailles sont aussi élevés sur place. À la laiterie, on transforme assez de lait en beurre, yogourt et fromage frais pour assurer l'autosuffisance. Les poules pondeuses, qui ont pris l'habitude de s'échapper par le trou des grillages et d'errer à leur guise entre les jambes des promeneurs, produisent des oeufs de la plus haute qualité. Rare exception: les fruits de mer, qui proviennent de Ballycotton, petit village de pêcheurs voisin de Shanagarry.

Au plus fort de la saison des récoltes, il arrive que tout ce qui se retrouve dans l'assiette ait été cultivé dans un rayon de moins d'un kilomètre. De l'avis de Darina et de Tim (mari et grand opérateur de la ferme), on est plus susceptible de «respecter le produit» lorsqu'on l'a arrosé jusqu'à son mûrissement, amoureusement, patiemment, chaque jour. Les apprentis cuisiniers, qui viennent des quatre coins du monde, donnent un coup de main à l'extérieur. Le premier jour de classe est consacré à la semence des graines qui deviendront laitues, radis ou haricots.

À notre retour, la grande salle à manger commune est grouillante, animée. Partout, on a posé des bouquets de jonquilles fraîchement coupées, premiers signes vitaux du printemps. Les élèves toqués vont et viennent, concentrés. Hier, on leur a fait la démonstration de ce qu'ils avaient pour tâche d'exécuter ce matin et qui défile maintenant sur de grands plateaux. Ils sont à mi-chemin d'un certificat en cuisine professionnelle intensif de 12 semaines. Coût de la formation: près de 15 000$.

Au fur et à mesure que les plats sont déposés sur les tables rondes, les convives se servent. Parmi eux, un joyeux mélange de visiteurs d'un jour, venus assister en observateurs au cours de l'après-midi, de membres de la famille, des employés, des professeurs. Tout le monde a droit au traitement royal. Seule Darina a une place attitrée, tout au fond, d'où elle a une vue d'ensemble de la pièce, souveraine.

Ce midi, on a concocté un dîner coloré, d'inspiration française: terrine de foie de poulet et pistache enveloppée de «bacon canadien», soufflés au fromage, marinade de concombre, relishs (canneberge-épices, pêche-gingembre) et chutney de poivron rouge, céleri rémoulade et aubergines grillées. Certains plats ont nettement meilleure mine que d'autres. Tout à l'heure, les cuisiniers auront le compte rendu détaillé de leurs performances, scrutées à la loupe, avec leurs ratés et leurs succès.

Darina Allen est née O'Connell, dans le comté de Laois, situé au centre de l'île. Dans les années 70, elle entend parler d'une «femme de fermier» qui sert des plats traditionnels pour entretenir le vaste manoir Ballymaloe, qu'elle et son mari ont acheté après la Seconde Guerre mondiale: brown soda bread, un pain consistant fait avec du babeurre, à la mie moelleuse, anguille fumée, boeuf au raifort et gâteaux aux pommes faits avec du beurre jaune vif, baratté sur place.

Cette femme, c'est Myrtle Allen, aujourd'hui considérée comme la grande dame de la cuisine irlandaise. À l'instar d'Alice Waters, à Berkeley, elle prend le pari (révolutionnaire, mais elle l'ignore encore) de présenter des plats simples, de suivre les saisons, de cuisiner avec les récoltes du terroir, à un moment où la gastronomie française a la mainmise sur le monde anglo-saxon.

«Myrtle proposait dans les assiettes des navets, des rutabagas et des céleris-raves de son jardin, du carragheen [une algue rouge qui pousse sur les roches du littoral irlandais] et des tiges de rhubarbe, alors que ces ingrédients étaient jugés trop humbles par les grands chefs. Tout comme le fait d'écrire un menu tous les jours était vu comme un geste amateur», explique Darina Allen.

Une belle reconnaissance
Ballymaloe House reçoit sa première étoile Michelin en 1975.

C'est à cette époque que Darina Allen, fraîchement diplômée de l'École d'hôtellerie de Dublin, obtient un poste comme cuisinière auprès de cette «femme de fermier» de Cork. Un tournant. Bientôt, elle intègre officiellement le clan Allen, en se mariant avec le fils aîné de ses patrons. Drôle de coïncidence, Rachel Allen (née O'Neill), célèbre au pays pour ses livres de recettes et ses émissions de cuisine, reproduira presque à l'identique l'histoire, en se mariant avec Isaac, fils de Darina et Tim. Trois générations le démontrent: chez les Allen, la cuisine est un art qui se transmet de mère en belle-fille.

Quarante ans après son embauche, Darina est à la tête de la BallymaloeCookerySchool. Elle compte aussi parmi les membres fondateurs du mouvement Slow Food Ireland, en plus d'avoir contribué en 2000 à la création du premier (de plusieurs, maintenant) marché fermier au pays qui, tous les samedis matin, déballe ses pénates au centre-ville de la bourgade de Midleton. Un passage obligé pour ceux qui souhaitent goûter à l'Irlande, littéralement. Les principaux artisans-producteurs sont tous établis dans la région et bon nombre d'entre eux figureront au menu des cafés et des restaurants que vous fréquenterez pendant votre séjour: le pain d'Arbutus, les fromages d'Ardsallagh, les poissons fumés et les charcuteries de Gubbeen.

La première passion de Darina, «sa première cause», précise-t-elle, puisqu'elle est souvent amenée à en défendre la réputation, est la longue et riche tradition culinaire de l'Irlande. La réédition de son livre de recettes intitulé Irish Traditional Cooking (Dublin, Gill&Macmillan, 1995 et 2012) est une riposte à tous ceux qui ont osé prétendre par le passé «qu'il n'y a rien de bon à manger en Irlande». Un préjugé largement répandu, même de l'intérieur, même au sein de la communauté irlandaise, dont la majeure partie ignore l'ampleur de son héritage, affirme Darina.

«On véhicule encore l'idée d'une nourriture lourde, terne et sans goût. Je suis d'avis qu'une recette transmise d'une génération à l'autre a fait ses preuves, même s'il ne s'agit que de ragoûts (stews), de boeuf salé (cornedbeef) et de chou.» De plus, le climat humide et relativement doux rend les sols extrêmement fertiles (petits fruits, pommes, patates, oignons) et les périodes de récolte beaucoup plus longues qu'en milieu sec. «Et nous savons qu'une bonne cuisine vient de bons ingrédients», ajoute-t-elle.

Dans le but d'éduquer ses pairs à cette culture vaste, d'en pallier les manques, Darina a commencé il y a une vingtaine d'années à réaliser une enquête, qui l'a menée dans tous les recoins du pays. Elle a lancé un appel dans les journaux régionaux, à la recherche de recettes familiales traditionnelles et de leurs variantes, de spécialités locales, salées et sucrées, certaines d'entre elles oubliées. La réponse a dépassé les attentes et laissé entrevoir la pointe de l'iceberg. Ce sont ses découvertes qui ont été recueillies dans le livre Irish Traditional Cooking, dépositaire d'une inestimable mémoire. Mais bon nombre de manuscrits dorment encore dans des boîtes à la Bibliothèque nationale, entre les mains de particuliers qui ne se sont pas encore résolus à les faire circuler.

«Un jour, les touristes viendront en Irlande pour les paysages grandioses, pour l'accueil chaleureux de ses habitants ET pour sa formidable cuisine. Le message doit voyager», conclut sa plus fervente ambassadrice. Chose promise...

BallymaloeCookerySchool: cookingisfun.ie

Sur le marché fermier de Midleton: midletonfarmersmarket.com

Sur la cuisine irlandaise en général: goodfoodireland.ie

***

Brown Soda Bread
Donne 2 pains

Ingrédients
560 g de farine de blé entier, moulue sur pierre
560 g de farine de blé blanche
2 c. à thé de sel
2 c. à thé de bicarbonate de soude, tamisé
750-900 ml de babeurre

Préparation
Préchauffer le four à 450°F.

Mélanger les ingrédients secs dans un bol. Faire un puits au centre et ajouter, d'un coup, le babeurre, en gardant une petite quantité de côté. En partant du centre, mélanger le tout à la main, en ajoutant le reste de babeurre, si nécessaire. La pâte devrait être lisse, souple, mais pas collante.

Diviser en deux portions égales. Déposer chaque pâte sur une surface farinée et la pétrir juste assez pour façonner une boule, puis l'aplatir doucement, jusqu'à ce qu'elle atteigne 5 cm d'épaisseur. Déposer le pain sur une plaque à pâtisserie saupoudrée de farine.

À l'aide d'un couteau, former une croix sur le dessus de la pâte. Cuire pendant 15 à 20 minutes, puis réduire la chaleur à 400°F pour encore 20 à 25 minutes. Laisser tiédir sur une grille. Déguster aussitôt avec une généreuse noix de beurre (l'étape la plus importante).

Pour une mie encore plus moelleuse, remplacer une partie de la farine de blé par de la farine d'avoine, plus 1 oeuf ou 30 g de beurre.

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.

Remplis sous: Irlande, Voyages Mots clés:
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