6
Fév/12
0

Crna Gora entre pierre et mer

Revue de presse

Gary Lawrence, collaborateur au quotidien Le Devoir, le 29 mai 2011

Porte principale de la ville fortifiée de Kotor, Monténégro.

NDLR - Lors de la préparation de notre voyage « Splendeurs de la côte Adriatique » nous avions déniché un texte paru en mai 2011 dans le quotidien, « Le Devoir ». Gary Lawrence y exposait nombre d’endroits superbes du Monténégro.

Voici son texte, c’est à lire!

Crna Gora entre pierre et mer

Des cités vénitiennes graciles et gracieuses. Des monastères orthodoxes hors du temps. Des montagnes étrangement plissées, le deuxième plus vaste canyon du monde et la plus grande réserve ornithologique d'Europe. Puis un fjord, un fjord qui fraie son chemin en écartant la pierre jusqu'à la sublime vieille ville de Kotor. Le tout chapeauté par un nom bien sombre pour un endroit si lumineux: Crna Gora — le Monténégro.

Photo ci-dessus : Sur cette porte de la vieille ville de Kotor, le Lion de Saint-Marc, symbole de Venise, trône en évidence.

Sveti Stefan — «Shocking!» est l'une des interjections qui éclosent spontanément dans l'esprit de celui qui, face à la rude vénusté de l'île fortifiée de Sveti Stefan, s'en voit interdire l'accès parce qu'il ne fait pas partie du gratin des nantis de ce monde.

— Puis-je voir la clef de votre suite ou de votre villa, monsieur? de s'interposer le planton posté devant la digue qui mène à l'île.

— Je ne séjourne pas ici, je veux seulement visiter et...

— On ne visite pas: toute l'île forme un complexe hôtelier; seuls les hôtes sont admis.

Encore un peu et le planton ajoutait: «Bisque, bisque, rage, paumé!»

Ceux qui croient que le Monténégro forme un inconnu au bataillon du tourisme sont priés de se raviser séance tenante. Quand un pays fraîchement affranchi décide de brader au plus offrant un fleuron patrimonial, jadis village de pêcheurs du XVe siècle, avec demeures de pierre, vénérable église et 800 oliviers, on comprend qu'on est loin du noviciat touristique.

En fait, c'est dans les années 60 que Sveti Stefan a été vidée de son âme et bourrée de richissimes estivants. Des estivants notoires et prestigieux: Sofia Loren, les Burton-Taylor, Kirk Douglas, puis plus tard Lady Di et Charles en lune de miel, ainsi que tout le gotha de l'époque qui affluait en ce lieu de villégiature créé par le maréchal Tito pour rivaliser avec Saint-Trop'.

Mise entre parenthèses pendant la guerre de Bosnie, l'île-resort est revenue à la vie quand l'acteur Jeremy Irons y a bamboché ferme pendant des semaines, lors d'un tournage au début des années 2000, renflouant du coup les coffres de l'établissement... qui fut par la suite racheté par la chic chaîne singapourienne Aman.

Il faut savoir qu'au lendemain de son indépendance — dont ce sera le cinquième anniversaire cette semaine —, le Monténégro a décidé de jouer à fond la carte du tourisme.

Moitié moins grande que la Belgique, peuplée d'à peine 650 000 âmes, l'ancienne douce moitié de la Serbie a consommé son divorce de velours en multipliant les projets tout en accueillant allègrement les investisseurs étrangers, comme le Canadien Peter Munk, p.-d.g. de Barrick Gold et promoteur de Porto Montenegro, un complexe amalgamant marina et résidences de luxe, à Tivat. Au cours des dix prochaines années, le Monténégro devrait même afficher la plus rapide croissance économique touristique au monde, estime le World Travel & Tourism Council. Nous voilà prévenus...

Une contrée corsetée de montagnes
Entouré par la Croatie, la Bosnie, la Serbie, le Kosovo et l'Albanie, le Monténégro forme géographiquement une sorte de Corse balkanique encastrée dans la côte adriatique: lovée entre mer et pierres, elle s'étire sur 293 kilomètres de littoral et s'élève en une prodigieuse barrière de sommets qui tutoient les nuages, jusqu'à 2500 mètres d'altitude.

Là-haut s'étendent les Alpes dinariques, un massif tarabiscoté entaillé par des gorges profondes et de vertigineux canyons, dont celui de Tara, considéré comme le plus vaste du globe après celui du sud-ouest états-unien. Dans cet arrière-pays peu peuplé, les randonnées sont époustouflantes — comme dans le parc national de Durmitor —, la descente de rivière adrénalise et l'avifaune s'illustre par sa richesse: rien qu'autour du lac Skadar, 200 000 oiseaux gravitent; c'est la plus grande réserve ornithologique d'Europe.

Dès qu'on sillonne les hauteurs monténégrines, on se sent tantôt en Grèce, avec ces monastères orthodoxes nichés en altitude dans les parois rocheuses, comme celui d'Ostrog; tantôt en Bosnie, quand on s'immisce entre une charrette à boeufs et une vieille Yugo déglinguée, sur une route aux cratères lunaires. La froide dégaine de la capitale actuelle, Podgorica, nous téléporte en pleine ère communiste et nous rappelle que son ancien nom, Titograd, lui convenait mieux, alors que la capitale historique, Cetinje, évoque vaguement l'Empire austro-hongrois avec son décor théâtral, son ambiance bohème, ses palais détrônés et ses ambassades déchues.

Qu'on se rapproche de la mer — idéalement en empruntant l'une des vertigineuses routes scéniques accrochées entre ciel et terre, comme la Route serpentine ou la route Cetinje-Budva — et voilà que montent les humeurs méditerranéennes de la côte, entre le parfum des cyprès, la rudesse de la pierre pilonnée par le soleil et l'art de cultiver la paresse à la monténégrine.

Ces effluves du Midi émanent franchement à Herceg Novi, ville médiévale toute de murailles et de calcaire vêtue, érigée non loin de la frontière croate. Les ruelles pentues y déboulent en lents escaliers jusqu'à la promenade maritime, où les Monténégrins écoutent pousser les palmiers en enfilant des rasades de krstac, un vin au nom impossible à prononcer avant trois verres.

Occupée par les Ottomans mais aussi par les Habsbourg, Herceg Novi a également subi l'influence de la Sérénissime pendant plus d'un siècle. Car, entre autres puissances qui ont dominé la côte adriatique, la République de Venise est celle qui a laissé les traces les plus profondes, entre les XVe et XVIIIe siècles.

Ce sont d'ailleurs les Vénitiens qui ont donné son nom actuel au pays en découvrant ces dantesques montagnes noires (monte negro) fermant le littoral. Aujourd'hui encore, on peut déceler un lion de Saint-Marc sur les murailles de la festive Budva — dont la ravissante vieille ville est emmurée vivante par une ceinture d'hôtels clinquants et envahie par les marchands du temple —, ou sur une demeure chambranlante de Perast.

Minuscule bourg vénitien aux anciens palais baroques et aux longs campaniles, Perast comptait jadis pas moins de 200 palazzi — il n'en reste plus que 19 — blottis le long de la baie de Risan. Ancien repaire de corsaires, Perast s'est par la suite embourgeoisée après avoir fourni à la flotte vénitienne certains de ses meilleurs combattants lors de la bataille de Lépante, en 1571, permettant à l'Alliance chrétienne de vaincre les Ottomans.

Aujourd'hui, quand on arrive de Herceg Novi, le tableau que forment Perast et l'église Notre-Dame-du-Récif, qui somnole sur l'île du même nom, est l'un des plus éblouissants du pays. D'autant plus éblouissant qu'il a pour toile de fond les spectaculaires bouches de Kotor, patrimoine mondial de l'UNESCO.

À bouches-que-veux-tu
Échancrées sur une trentaine de kilomètres à l'intérieur des terres, ces bouches se déclinent en une succession d'incroyables baies — vous avez dit «bouche bée»? — enserrées comme autant de lacs de Côme qui se seraient reproduits.

Entre Herceg Novi et Tivat, 55 kilomètres d'extase routière s'y déroulent à hauteur d'homme, d'eau et d'histoire, sur un étroit bandeau de bitume qui traverse villages de pêcheurs et bleds esseulés, demeures séculaires et façades ravalées, monastères discrets et plages coquettes, le tout encaissé par des cirques monumentaux. Et, tout au fond de la dernière baie, il y a Kotor.

Kotor! Kotor! Kotor! Quand on baguenaude dans cette émouvante cité aux profonds accents vénitiens, on a envie de crier son nom au détour de chaque venelle pour en entendre l'écho sur la pierre rosâtre, sur les murs ocre délavés, sur les pierres patinées où il pourrait réverbérer.

Tapie en forme de triangle au pied de l'imposant mont Saint-Jean, lui-même couronné par de vertigineuses fortifications, l'ancienne Dekaderon s'est bâtie à la va-comme-je-t'érige autour d'un noyau médiéval maintes fois ébranlé par des séismes, dont un particulièrement impitoyable, en 1979, qui l'a détruite aux trois quarts.

Rebâtie pierre par pierre pendant 20 ans, Kotor est redevenue elle-même, la vénitienne Cattaro, ou presque. Car même si elle figure sur la Liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO, voici que ses fondations vacillent sous le poids de ses nouveaux envahisseurs, trop nombreux à y fouler du pied ses pavés violacés, surtout quand trois paquebots se bousculent devant ses murailles bordées de douves. Espérons qu'on saura où et quand s'arrêter et qu'on ne lui volera pas son âme, comme à Sveti Stefan. Mais on est en droit d'en douter.

En vrac
Transport. Via Paris, Air France relie quotidiennement Montréal à Belgrade. De là, Montenegro Airlines et JAT desservent Podgorica et Tivat (près de Kotor) tous les jours. Les deux transporteurs monténégrins volent également depuis Paris, en deux heures. www.airfrance.ca, www.montenegroairlines.com, www.jat.com.

Saisons. Il ne pleut que 75 jours par année au Monténégro. Les meilleures périodes demeurent mai, juin et septembre. Octobre peut être pluvieux, tandis que juillet et août sont surfréquentés. Enfin, on peut skier de décembre à mars dans les hauteurs du pays.

Hébergement. On trouve des chambres très convenables en résidence privée (chez l'habitant), pour 15-20 euros la nuitée, en s'informant au bureau de tourisme de chaque ville. Face à Kotor, l'auberge Villa Ferri constitue un bon rapport qualité-prix: grandes chambres et terrasse sur la baie, table goûteuse et vue sur la baie sur fond de montagnes (www.villa-ferri.com).

Coût de la vie. Il peut être élevé, surtout autour de Kotor et de Budva, mais il y a toujours moyen de becqueter et de trinquer à petit prix, le tout étant monnayable en euros, la devise officielle.

Location de voiture. Mieux vaut rouler très prudemment car les routes sont truffées de flics zélés, bien terrés dans des zones de limites de vitesses basses et aléatoires. Et une contravention peut équivaloir à une visite au tribunal le plus près, pour qu'un juge décide de l'amende... Avant de partir, l'obtention d'un permis de conduire international est aussi recommandé.

Guides. Évasion Hachette, fort bien fait et enrichi de jolies illustrations, et Lonely Planet (en anglais), très fouillé et pratique.

Renseignements: www.visit-montenegro.com, www.montenegro-travel.com.

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault

Commentaires (0) Trackbacks (0)

Aucun commentaire pour l'instant

Laisser un commentaire


Aucun trackbacks pour l'instant