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La Croatie mise sur l’UE pour oublier ses plaies

Revue de presse

Vingt ans après la guerre, même le bastion nationaliste d'Osijek penche pour l'Europe, la veille d'un référendum national sur l'adhésion

Nicole Pons, Libération, Le Devoir, le 21 janvier 2012

Dalmatie, Croatie.Osijek —Après Vukovar, dont elle n'est séparée que par une quarantaine de kilomètres de plaine, Osijek est sans doute la ville de Croatie qui a le plus souffert de la guerre consécutive à l'éclatement de l'ex-Yougoslavie (1991-1995). Quoique rénovée, cette ville de 90 000 habitants, la quatrième du pays, affiche encore des façades meurtries par des impacts de balles et des éclats d'obus.

Photo ci-dessus de Jacques Lanciault : La Croatie affiche encore beaucoup de stigmates de la guerre de 1991-1995.

«Un beau pays plein de cicatrices», aiment à dire ses habitants à l'heure où la Croatie, qui a fêté ce week-end les 20 ans de sa reconnaissance internationale, se prépare à voter demain par référendum pour ou contre l'adhésion à l'Union européenne, prévue en juillet 2013. Sept cents civils tués dans les bombardements de l'automne 1991, autant de combattants morts sur les lignes de front, à moins de deux kilomètres de la capitale économique de la Slavonie... Les souverainistes s'interrogent: valait-il la peine de tant souffrir afin d'échapper à la tutelle de Belgrade pour finir sous celle de Bruxelles? Parmi eux, Daniel Srb, le président du Parti croate du droit (HSP), une formation ultranationaliste qui, au sortir de la guerre, a dirigé pendant plusieurs années la mairie d'Osijek. Il est catégorique: «Les unions n'ont jamais profité à la Croatie, pas plus l'Autriche-Hongrie que la Yougoslavie.»

Populiste
Mais 20 ans sont passés, et ce radicalisme ne convainc plus les électeurs. À l'inverse du pays, passé à gauche aux législatives de décembre, la région est restée à droite, mais cette droite-là s'est transformée en un parti régional qui mobilise davantage sur les questions locales — comme l'agriculture ou les voies de communication — que sur celles de l'État ou de la nation. Le gouverneur de la région, Vladimir Sisljagic, chef de l'Union démocratique croate de Slavonie et de la Baranja (HDSSP), au pouvoir localement, n'accuse pas l'Europe: «Si notre économie n'est pas prête, si nos paysans ne savent pas comment accéder aux fonds européens pour l'agriculture, ce n'est pas la faute de Bruxelles, mais celle de notre gouvernement.» Avec des accents de tribun un rien populiste, ce chirurgien et professeur de médecine vilipende Zagreb: «Lorsque nous avons réclamé une loi pour légaliser les bâtiments de ferme construits sans autorisation dans 95 % des exploitations familiales, un document sans lequel nos fermiers ne pourront pas déposer de projets à Bruxelles, le gouvernement a pris des mesures qui ont favorisé les propriétaires de villas en bord de mer et non pas les agriculteurs.»

Entreprise criminelle
Sous la pression de Bruxelles, le pays a déclaré la guerre à la corruption, un processus qui a coûté son poste et sa liberté à Ivo Sanader, le chef du gouvernement croate qui avait ouvert en 2005 les négociations d'adhésion avec l'Union européenne. L'ex-premier ministre comparaît depuis des mois devant la justice pour corruption et détournement de fonds, des méfaits qui sont aussi reprochés à de nombreux membres de son équipe et de son parti, la Communauté démocratique croate (HDZ), le parti fondé par Franjo Tudjman, l'autoritaire «père de l'indépendance» de la Croatie.

Personne n'en veut à l'Union européenne d'avoir contraint la Croatie à combattre la corruption. On lui reproche par contre d'avoir mis sur la table les crimes de guerre commis par le jeune État contre les civils serbes, et d'avoir fait de la poursuite de leurs auteurs une condition d'adhésion. Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie n'a pas seulement condamné l'an dernier le général Ante Gotovina pour les crimes commis lors de l'offensive «Tempête» — grâce à laquelle Zagreb a repris en 1995 à Belgrade le contrôle de la Krajina, dans le sud du pays —, mais il a également imposé une nouvelle lecture de la guerre, en jugeant que l'officier avait participé avec les plus hauts responsables du pays à «une entreprise criminelle conjointe» dont le but était de chasser les Serbes de la région.

À Osijek, il a fallu livrer l'enfant du pays, Branimir Glavas, condamné à Zagreb à huit ans de prison pour des crimes commis en 1991 contre des Serbes de la ville. Organisateur des premières milices de la région, numéro 2 du HDZ local puis fondateur du HDSSB en 2005, «Glavas reste aux yeux de la population le défenseur d'Osijek», dit Ivica Vrkic, un ancien directeur de la télévision à qui la région doit d'avoir organisé entre 1995 et 1998 le retour pacifique dans le giron croate de Vukovar et de la Baranja, restés en mains serbes. Et personne ne trouverait à redire si, dans quatre ou cinq ans, Glavas, l'ancien patron de la région, venait reprendre sa place, comme si de rien n'était. «L'exécution brutale de ces Serbes, dont un médecin ou le directeur de la poste, était un message pour faire fuir les autres», souligne le journaliste d'investigation Drago Hedl.

La part des Serbes dans la population de la ville est passée de 20 % avant la guerre à 6-7 % après la guerre. Mais nul ne veut se demander si c'était un des buts de la guerre. Avec la Serbie voisine, les choses sont plus simples. Les relations ont repris, surtout à l'échelle régionale. «Il faut entrer en Europe, ne serait-ce que pour être un ou deux pas devant la Serbie», qui n'a toujours pas le statut de candidate à l'adhésion, s'esclaffe Gordan? Matkovic, le président du conseil municipal, lui-même ancien combattant. De militaire, la rivalité s'est déplacée sur le terrain diplomatique.

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.

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