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Le limoncello de Sorrento

Revue de presse

Texte de Robert Beauchemin, collaboration spéciale, La Presse le 20 août 2011

Le citron, la base du Limoncello

(Sorrento) À moins d'une heure de train de Naples se trouve la péninsule montagneuse de Sorrento. Elle se détache du continent, un peu comme un doigt qui pointerait vers l'Afrique. D'un côté, on trouve la baie de Naples et, au centre, le Vésuve, qui veille sur la prospérité locale. On dit d'ailleurs que la densité de population dans la région est l'une des plus importantes d'Italie.

Depuis l'Antiquité, c'est le jardin de la région on trouve des oliviers, les meilleures tomates d'Italie et probablement d'Europe, les figues, les abricots, et les pâturages qui nourrissent les buffles et qui donnent à la mozzarella son goût singulier. Les terres riches sont fertilisées par les cendres du volcan qui jette son ombre partout sur la côte. C'était d'ailleurs le terrain de jeu des empereurs et des riches romains. Ça l'est encore. On a troqué Tibérius, 200 ans plus tard, pour les magnats britanniques et hollandais qui ont acheté de superbes villas entourées de plantations surplombant la mer.

La ville de Sorrento est à une extrémité de la péninsule. La côte Amalfitaine occupe l'autre versant, celui qui donne directement sur la Méditerranée. Tout au long et partout dans les collines environnantes poussent les agrumes et les citrons, qui servent à la cuisine locale, mais aussi à la confection de liqueurs, de sorbets et de gâteaux de toutes sortes. J'ai même aperçu dans une librairie de Sorrento plusieurs livres de recettes consacrés uniquement à cet agrume. C'est que le microclimat, les conditions d'humidité particulières et les techniques agricoles mises au point au cours des siècles ont permis d'allonger la période de croissance de l'agrume. Ailleurs, il se récolte de novembre à mai. Ici, on ne trouve pas de citrons sur les branches des arbres seulement deux mois par an octobre et novembre.

La manière artisanale
Francesco DiLeva, dont la famille est installée à Gragnano et produit des liqueurs digestives depuis trois générations, m'explique que les citrons ont un parfum unique et suave qui se rapproche parfois selon la saison de la mandarine. En fait, en hiver, on peut manger un citron comme une orange, en ajoutant un peu de sel ou de poivre, une feuille de menthe ou même de basilic. Les citronniers sont cultivés sous bâche et dans des jardins couverts de treillis, pour les protéger des vents et des changements brusques de température. «Il y a de très bons citrons partout dans la zone, au nord de Naples, à Amalfi, dans l'île de Capri dont on aperçoit les contours au loin. Mais ceux de Sorrento sont vraiment uniques et bénéficient même depuis 2002 d'une IGP (l'équivalent italien d'une appellation d'origine contrôlée) qui protège le nom et la spécificité de sa culture.»

M. DiLeva est aussi propriétaire d'un magasin de produits fins, de charcuteries et d'une oenothèque célèbre pour la qualité exceptionnelle de ses pâtes sèches, exportées partout dans le monde et surtout connu pour ses liqueurs de noix, d'orange et de citron.

Un matin de grande chaleur, il me fait visiter sa petite fabrique installée un peu en dehors du village. Là, surplombant la vallée et au loin la mer, j'aperçois le Vésuve, la ville de Naples et même l'île de Capri tant la lumière scintille et apporte une brillance presque limpide. On connaît tous les cartes postales. On a vu les films. Mais quand on est sur place, c'est un peu la différence entre le noir et blanc et la couleur.

Une fois dans le petit entrepôt, à peine plus grand qu'un wagon de métro, j'aperçois un homme assis sur une chaise, épluchant des citrons à la main, en chantonnant. Partout autour, on trouve des caisses de citrons frais, apportées le matin même à l'aube. Francesco m'explique que ce sont les citrons qui serviront à faire la prochaine cuvée de limoncello qui s'en va directement à Montréal. Les bouteilles devraient arriver en septembre prochain.

Je lui demande ensuite de m'expliquer comment on fabrique cette liqueur et si l'employé qui coupe tranquillement les citrons est là pour la démonstration. «Non, non, lui, il fait ça à temps plein. C'est son métier! Il le fait d'ailleurs depuis qu'il est tout jeune, c'est un vrai expert. Il ne laisse aucune trace de blanc sur la peau quand il la découpe en larges tranches, sinon, la liqueur aurait un goût un peu amer. Et on ne veut pas ça.» Partout autour, il y a une lumière artificielle jaunâtre qui accentue les contours de tous les objets, boîtes en plastique, bouteilles de verre, étiquettes.

Pour me montrer à quel point la technique de fabrication est simple et totalement artisanale, il s'installe sur une table et mélange les peaux de citrons avec de l'alcool pur à 95%. «Un alcool moins fort comme la vodka ne serait pas suffisant pour extraire tous les parfums des citrons», explique-t-il. Il rajoute un sirop de sucre simple qu'il avait préalablement concocté. Une fois le mélange obtenu, on laisse vieillir dans une jarre en verre pendant une quarantaine de jours et le tour est joué.

Simple? Pas vraiment. «Il faut des citrons locaux dont la peau est épaisse, plus parfumés que ceux des autres régions italiennes.» Seuls les citrons de Sorrento peuvent apporter des notes presque confites. Parfois, on se demande si l'on ne reconnaît pas le lychee, l'abricot même. «Avec les citrons de la Floride, vous n'obtiendriez jamais cette délicatesse, cette perfection», m'assure-t-il quand je lui demande si l'on ne pourrait pas faire du limoncello un peu partout. Et les citrons eux-mêmes, une fois que les peaux ont été retirées? «Nous fonctionnons en autarcie avec nos produits, explique Francesco DiLeva. Nous donnons tous les restes aux gelaterias locales, qui produisent ainsi les meilleurs gelati al limone du pays!»

Le limoncello DiLeva est en vente dans presque toutes les SAQ de la province, à 20$ la bouteille de 500ml.

Petite histoire du citron italien
En Italie, surtout dans les régions où l'on fait pousser les agrumes, il était de coutume d'utiliser les excédents de fruits pour faire des liqueurs digestives. Les alchimistes du Moyen-Âge préparaient des alcools au moyen d'alambics et leur prêtaient des vertus curatives (à cause de leur côté antiseptique bien sûr, à 40%, l'alcool tue pas mal de microbes). Il était même courant d'en donner de bonnes rasades aux enfants au lever du jour pour les fortifier!

Dès la fin du XVIIIe siècle, des voyageurs anglais faisaient mention des eaux-de-vie à base de citron. Le fruit d'origine indienne était bien connu des Romains qui l'avaient découvert grâce aux voyages d'Alexandre le Grand. Mais les citrons acclimatés à Rome étaient d'anciennes variétés très amères et aigres et ne contenaient presque pas de jus, lequel servait surtout de rince-bouche ou pour renforcer l'aigreur des vinaigres. Curieusement, on préférait les feuilles qu'on intégrait directement aux plats cuisinés. Il semblerait que la production agricole de l'agrume n'ait été entreprise qu'au Moyen-Âge et qu'elle ait été stimulée par les Arabes qui occupaient alors plusieurs régions du sud de la péninsule.

Dans certains écrits, on connaissait bien le citron et on s'en servait pour la cuisine du poisson, aussi bien en garniture qu'en marinade. Mais ce sont les Jésuites qui, à la même époque, en ont accru la culture, établissant des plantations un peu partout autour de Naples.

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.

Remplis sous: Italie, Voyages Mots clés:
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