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Russell Martin: derrière le masque

Revue de presse

Marc-Antoine Godin, La Presse, le 9 juillet 2011

Russell Martin (New York) Le receveur québécois Russell Martin participera mardi à son troisième match des Étoiles en carrière. La Presse lui a rendu visite à New York récemment. Le quotidien d'un homme ordinaire au destin extraordinaire.

«Tu es prêt? Let's do this.»

Dans une arrière-cour du Yankee Stadium, le policier enfourche sa motocyclette. Derrière lui, Russell Martin à bord de son Cadillac Escalade, suivi de deux ou trois coéquipiers qui vivent dans les banlieues nord de New York.

Se frayant un chemin dans la cohue de la fin du match, le policier s'engage en sens contraire de la circulation. Il siffle, il klaxonne: il est l'autorité. Le receveur québécois suit la moto, sourire en coin. On ne s'habitue jamais complètement à une telle escorte policière.

Le policier provoque une brèche dans l'entrée menant à l'autoroute, crée de l'espace là où il n'y en a pas. Une fois sur l'autoroute 87, le policier se faufile entre deux voies puis s'immobilise devant une voiture. Il refoule volontairement la circulation sur une voie afin que celle où se trouve Russell Martin puisse circuler plus vite.

Taisez-vous! dit le policier à une femme qui proteste.

Il répétera la manoeuvre quatre ou cinq fois, jusqu'à ce que les joueurs des Yankees soient extirpés du bouchon.

Bienvenue à New York.

*****

Russell Martin a trimballé son enfance de Winnipeg à Montréal, en passant par Paris et l'Outaouais. Déménager de Los Angeles à New York n'est pas un énorme dépaysement.

Pourtant, en matière de baseball, c'est tout un changement de culture. La nonchalance de la côte Ouest, qui meublait son quotidien chez les Dodgers, a laissé place au rythme frénétique de la Big Apple. Ça se constate dans la rue... et même au stade.

«À Los Angeles, les gens sont là pour le spectacle, raconte Russell. À New York, ils sont là pour voir les Yankees gagner.»

La tradition, la victoire impérative imposée sous Steinbrenner, l'argent délirant qui est investi: tout chez les Yankees incite à l'émulation.

«Les joueurs se soucient les uns des autres, affirme le père de Martin, Russell Martin senior. Ils sont comme des nerds qui se réunissent pour étudier.»

L'énergie des deux villes est différente, la dynamique des deux équipes aussi. Mais lorsque Martin est devenu joueur autonome l'hiver dernier, l'appel des Yankees avait un attrait de plus.

«Ma famille est maintenant plus proche, dit-il. Mon père, ma mère et ma soeur peuvent descendre lorsqu'ils ont une fin de semaine libre. C'est l'une des principales raisons pour lesquelles je voulais jouer dans l'Est.»

*****

L'Escalade de Russell Martin s'arrête quelques instants à une station-service. Des gens le reconnaissent et lui demandent un autographe.

Russell n'est avec les Yankees que depuis quelques mois, mais les amateurs l'ont adopté en raison de son style de jeu intense et compétitif. Ce n'est pas pour rien que, malgré sa moyenne au bâton décevante, ils sont des milliers à voter pour lui pour l'envoyer au match des Étoiles.

«C'est toujours apprécié d'être valorisé pour l'effort qu'on met dans ce qu'on aime, confie Russell. C'est agréable, les statistiques, mais je crois que les gens réalisent que toute l'énergie que je donne se reflète dans mon jeu.»

Cette intensité, «Senior» croit savoir d'où elle provient.

«En 1950, alors que j'avais 6 ans, j'avais mis la main sur une bande dessinée de Jackie Robinson», raconte l'homme à la barbe blanche, qui passe allégrement de l'anglais au français le plus québécois.

«À l'époque, il n'y avait pas beaucoup de choses qui nous rendaient heureux d'être noirs, rappelle-t-il. Mais Jackie était un héros social. Quand je jouais au baseball avec d'autres enfants, j'étais Jackie Robinson. C'était pas mal mieux que de se faire ridiculiser!

«Or, j'ai l'impression qu'il y a beaucoup de Jackie Robinson dans Russell. L'esprit de Jackie m'a habité et je l'ai transmis à Russell.»

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Des performances en déclin depuis deux ans ainsi qu'une fracture à une hanche ont incité les Dodgers de Los Angeles, l'hiver dernier, à ne pas soumettre d'offre au receveur de 28 ans.

Vu la débâcle des Dodgers, qui sont maintenant sous la protection de la loi sur les faillites, on ne peut s'empêcher de croire que Martin a quitté le navire au bon moment.

Pourtant, il y a quelques mois à peine, il n'y avait rien d'acquis pour l'athlète montréalais. L'incertitude a plané sur le jeune joueur autonome jusqu'à ce que les Yankees, les Red Sox de Boston et les Blue Jays de Toronto expriment leur intérêt.

Trois mois après avoir amorcé un contrat d'un an d'une valeur de base de 4 millions avec les Yankees, cette incertitude n'est pas complètement disparue.

Entrer dans la superbe demeure de Russell Martin et constater à quel point la maison n'a pas été meublée nous rappelle qu'il n'est pas encore à l'étape de jeter l'ancre. Il doit faire ses preuves et démontrer aux Yankees qu'il est leur receveur du présent... et aussi de l'avenir.

Le temps presse déjà.

*****

Petit barbecue avec amis et coéquipiers. Son entourage est venu pour le week-end et, malgré la blessure au dos qui ennuie leur ami, ils font contre mauvaise fortune bon coeur.

Russell s'isole un moment pour jouer de la batterie et mixer quelques chansons. Il adore ses amis, mais recherche ces moments d'isolement.

«Au moins, il n'a pas sorti ses jeux vidéo», dit son père, qui grille une cigarette dehors.

L'homme ne l'a pas toujours eu facile. Cet ancien athlète - il a participé à trois camps d'entraînement des Alouettes - converti à la musique jouait du saxophone dans le métro de Montréal pour subvenir aux besoins de son fils.

Tant de chemin parcouru entre ces années difficiles et le succès professionnel de son fils... Les émotions lui viennent à fleur de peau dès qu'il aborde le sujet.

Russell Martin n'avait que 2 ans lorsqu'il a appris de son père les rudiments du baseball. À l'époque, ses parents venaient de se séparer et il vivait avec le paternel à Winnipeg.

«On utilisait un bâton et des balles de tennis, se souvient Senior. Je lui faisais courir les buts... À 5 ans, il attrapait déjà des chandelles!

«J'inventais toutes sortes d'exercices. Nous nous lancions deux balles en même temps: il en attrapait une pendant qu'il lançait l'autre. Ça a amélioré sa précision...»

En faisant progresser le talent de Russell, s'est-il dit très tôt, son fils pourrait un jour décrocher une bourse dans une université américaine et s'assurer une bonne éducation.

«Le baseball fait partie de moi depuis toujours, raconte Russell. C'est comme apprendre le français: une langue maternelle, c'est inné.

«Mais je parle le baseball beaucoup mieux que je parle l'anglais ou le français!»

*****

Russell apparaît sur la terrasse pour prendre les commandes du barbecue. «Je suis capable de bien faire la cuisine, mais ce n'est pas quelque chose que j'aime vraiment faire, à moins que je veuille épater quelqu'un et faire mon frais», raconte-t-il.

Il invoque ses deux années à Paris, où il aidait sa mère Suzanne à faire la cuisine, pour expliquer ses talents culinaires. Mais ce n'est rien de trop fastidieux aujourd'hui: steaks et hot-dogs.

Russell taquine la briquette, mais sa tête est ailleurs. Il pense à ce foutu mal de dos qui l'empêche de jouer depuis presque une semaine.

Le jeune homme a tout pour lui: la blonde, la maison, la belle voiture, des gens qui l'aiment et qui lui sont fidèles. Il est le receveur des Yankees de New York - les Yankees! - et il gagne très bien sa vie.

Mais s'il n'est pas en mesure de se faire valoir jour après jour sur le terrain, le reste ne suffira pas.

La soirée s'achève avec la porte qui se referme derrière le voltigeur Nick Swisher. Il est tôt, mais il y a un match le lendemain après-midi.

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.

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