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Rome, ville palimpseste

Revue de presse

Stéphane Baillargeon, Le Devoir, 24 avril 2011

Rome, Latium, Italie.

Plusieurs fois écrite, grattée et réécrite, la Ville éternelle fait l'objet d'une grande synthèse au Musée de la civilisation de Québec.

Ce n'est pas une ville, c'est une civilisation. C'est même la matrice trois fois civilisatrice de l'Occident et du monde. La Caput Mundi a dominé l'Antiquité. La Città Santa a porté la bonne nouvelle urbi et orbi. La Ville éternelle a finalement stimulé la Renaissance. Rome, et le Vatican, et l'Italie, et l'Empire romain, bien sûr. On ne chipotera pas pour une simple métonymie.

Photo ci-dessus : Sur la place du Capitole, il y a évidemment une sculpture de la Louve! Il s’agit ici de la copie d’une sculpture en bronze qui représente un épisode de l'histoire légendaire de Romulus et Rémus, eux qui auraient été déposés sur le Tibre dans un panier d'osier. L’original de la sculpture est à l’intérieur du musée dans le palais des Conservateurs. (Photo Jacques Lanciault)

C'est cet héritage, long, profond, fondamental jusqu'ici, que se propose d'examiner la nouvelle exposition du Musée de la civilisation de Québec (MCQ) à compter du 11 mai. Rome, de ses origines à la capitale d'Italie, va remonter le temps sur deux millénaires et demi, jusqu'à la fondation du hameau mythique par un des jumeaux nourris par une louve.

«Cette première rétrospective s'inscrit dans une série que nous souhaitons organiser autour des grandes métropoles qui ont façonné le Québec», résume Michel Côté, directeur du MCQ, rencontré à Rome au début du mois. Dans les prochaines années, le Musée espère se pencher sur Londres et Paris dans la même perspective. Le colloque des 5 et 6 mai, à Rome, sur le Québec et l'Amérique française dans les archives secrètes du Vatican, s'inscrit dans la même perspective.

Rêver cette audacieuse synthèse, c'est une chose, la réaliser, c'en est une autre, même pour un vétéran comme M. Côté. Il a piloté environ 200 expos en carrière, dont le quart au Musée des confluences de Lyon, qu'il a dirigé pendant une décennie. Pour mener à bien ce nouveau projet, il fallait trouver un pro de confiance capable de comprendre et de relayer les espoirs québécois et de percer les arcanes bureaucratiques italiens.

La délégation du Québec à Rome, appelée à la rescousse, a vite pointé vers Giovanni Gentili, un oiseau rare, professeur de littérature anglaise passionné par la capitale romaine et la muséologie un peu audacieuse. À son embauche, il y a deux ans, il venait de marquer un bon coup en organisant une exposition archéologique sur Jules César.

«C'était déjà difficile de monter une exposition sur les trente années concernant César; alors, de préparer une exposition sur cent fois plus de temps, c'est énorme et même utopique, explique le dottore Gentili, commissaire de l'exposition. À ma grande surprise, en travaillant, en consultant, j'ai découvert une belle occasion de proposer une nouvelle perspective sur Rome, une perspective pour les étrangers, évidemment.»

Le sésame humain a ouvert toutes les portes et même réussi à convaincre les institutions prêteuses de laisser filer leurs trésors pour neuf longs mois. Le parcours au pas de charge utilise environ 300 objets empruntés à différents musées romains, dont un petit quart provenant de ceux du Capitole et un sixième des institutions du Vatican.

On y trouve des fresques, des mosaïques (dont une restaurée avec l'aide du MCQ), un sarcophage, des bustes et des bijoux, des objets du quotidien, des maquettes et des toiles. Certaines pièces ont été arrachées aux expositions permanentes, par exemple une magnifique petite peinture sur bois de Raphaël tirée du Vatican. Au MCQ, une salle centrale sera consacrée à des projections permettant de saisir l'animation de cette métropole exceptionnelle. Les chiffres demeurent secrets, mais on peut facilement évaluer la couverture de l'assurance gouvernementale du transport des trésors irremplaçables à plusieurs centaines de millions de dollars.

Un travail pionnier

Étrangement, cette cité éternelle n'a pas de musée pour célébrer sa propre histoire multimillénaire. Montréal, dix fois moins âgée, s'est offert ce luxe à son 350e anniversaire en inaugurant le Musée d'histoire et d'archéologie de Pointe-à-Callière. Paris a le Musée Carnavalet. Le Museum of the City of New York consacre en ce moment une exposition au célèbre théâtre Apollo.

Les muséologues italiens souhaitent y arriver à leur tour même si les coupes claires dans les budgets du patrimoine et de la culture (près de 30 % en deux ans) compliquent la donne. L'an dernier, une partie du toit de la Domus Aurea, près du Colisée, s'est effondré. À quoi bon construire un nouveau musée, même avec le privé, quand l'insuffisance de fonds ne permet pas de bien entretenir des sites fragiles?

En fait, les muséologues italiens voient un peu le survol de Québec comme une sorte de travail préparatoire, une esquisse en quelque sorte. «Le futur musée de Rome devra aussi reconstruire le tissu visible et invisible de la cité à différents âges», résume le directeur des musées du Capitole, Claudio Parisi Presecce. Lui-même cite comme modèle le Museum of London. «Il faudra différencier le Vatican de Rome capitale. Il faudra faire une place à la Rome moderne. Tout cela est très compliqué et devra beaucoup utiliser les nouvelles technologies.»

Google offre déjà une reconstitution virtuelle de la Rome antique, disponible en ligne. Le troisième volet du jeu vidéo Assassin's Creed, développé par Ubisoft Montréal, permet de visiter virtuellement la cité partiellement en ruine à la Renaissance.

Le complexe muséal du Capitole, souvent considéré comme le plus vieux du monde, date de cette période, de 1471 précisément. Les bonnes années, l'institution prête environ 300 pièces à l'étranger. Le transfert à Québec de 80 pièces, dont la fameuse louve nourricière, emblème de l'expo, n'en devient que plus généreux.

L'expo québécoise s'inscrit officiellement dans les activités culturelles commémorant le 150e anniversaire de l'unité italienne et les activités de promotion pour obtenir les Olympiques en 2020. Victor-Emmanuel fut proclamé roi de la péninsule unifiée le 17 mars 1861. Le très long survol muséo-historique s'arrêtera dix ans plus tard, en 1871, alors que la ville devient officiellement capitale du pays.

«Notre exposition veut raconter l'histoire de la ville et montrer ce qu'elle est encore aujourd'hui, conclut le commissaire Gentili. Rome est un berceau de notre monde. Notre regard est très positif et très englobant; il montre que, même pendant les périodes difficiles et sombres, la culture continue et la ville se prépare à rebondir en puisant dans un fonds de valeurs, de richesses et de concepts.»

***

Notre journaliste était à Rome à l'invitation du Musée de la civilisation de Québec.

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.

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