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Revue de presse : Les nuits catalanes

Christian Rioux, Le Devoir, POLITIQUE, vendredi 23 juin 2006

Dimanche dernier à Barcelone, la nuit descendait lentement sur la ville. Au fur et à mesure que la noirceur avançait, les habitants se rassemblaient sur la Rambla. Les nuits de Barcelone sont ainsi. Vers 22h, les places et les restaurants se remplissent soudainement. Les enfants sortent de partout et se mettent à jouer. Les parents discutent assis sur un banc dans la nuit chaude. Les néons scintillent et les bruits de la ville descendent lentement vers la mer. Puis, vers une heure du matin, la foule rentre lentement chez elle, heureuse, prête à recommencer le lendemain.

Ce n'est là que quelques-uns des milliers de petits détails qui font de cette région du nord de l'Espagne un lieu incomparable. Additionnés, ces traits en apparence anodins dessinent une identité qui n'existe nulle part ailleurs. Il ne s'agit pas de quelques caractéristiques ethniques et culturelles en voie de disparition. Cette identité ne se résume pas à un folklore dont on ferait des reportages dans le National Geographic. Elle représente une culture vivante qui se perçoit ainsi et qui s'offre à tous ceux qui désirent la partager. Des milliers d'étrangers sont devenus catalans en adoptant la langue et les coutumes de cette nation du nord de l'Espagne, en partageant ses habitudes, ses mets, ses façons de faire et de penser.

C'est pourquoi la nation moderne est une fabuleuse invention démocratique dans la mesure où elle offre à chacun, en échange de l'adhésion à certaines valeurs et à certains traits culturels (l'apprentissage d'une langue par exemple), la possibilité de devenir un égal et de participer pleinement à la vie démocratique d'une communauté. Bref, de partager ses angoisses et ses espoirs.

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C'est cette identité nationale qu'a reconnue le référendum tenu dimanche en Catalogne. On pourrait discuter longuement des détails de la réforme constitutionnelle qu'ont adoptée les Catalans, de la distribution des compétences et des arrangements financiers qui l'accompagnent. Tous relèvent des particularités du pays, de son histoire et d'un processus qui s'est étalé sur près de trois ans.

Mais s'il y a un point qui interpelle directement les Québécois, c'est bien la reconnaissance par l'Espagne d'une nation catalane. Comme me le disait le ministre catalan de la Justice, Josep Maria Valles, l'Espagne reconnaît dorénavant qu'entre ses frontières coexistent au moins deux nations. Elle vient d'admettre que, malgré les régimes militaires, les tentatives d'assimilation et l'interdiction de la langue catalane, la Catalogne est demeurée une nation. Cela n'en fait pas une nation qui aspire à l'indépendance, mais cela fait d'elle une nation qui a conquis le droit de parler à Madrid sur un pied d'égalité, de nation à nation.

L'événement est lourd de sens pour les Québécois, qui se sont vu refuser en 1990 la pâle désignation de «société distincte». On tentera d'expliquer cette différence par les caractéristiques de chaque pays. L'explication la plus farfelue nous a été proposée par le ministre québécois des Affaires intergouvernementales, Benoît Pelletier. Au Canada, a-t-il déclaré, l'emploi d'un euphémisme pour qualifier le Québec serait nécessaire puisque le mot «nation» passerait mal en anglais, langue dans laquelle il renverrait davantage à l'idée de pays.

Le ministre-linguiste devra nous expliquer pourquoi Élisabeth II, Tony Blair et la BBC n'ont aucune pudeur à parler de la «nation écossaise». Peut-être l'anglais des Outaouais a-t-il des particularités qu'ignorent ses locuteurs des bords de la Tamise. Vite, que l'on crée une commission de linguistes chargée de nous éclairer sur les particularismes ethniques de l'étrange dialecte que parlent nos amis canadiens!

Remplis sous: Espagne, Nouvelles, Voyages Mots clés:
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