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Revue de presse : Entrevue avec une statue

Lilianne Lacroix, La Presse, cahier Vacances Voyage, samedi, 23 décembre 2006

L'homme-statue Stephan Wikaryjak, à visage découvert. (Photo : Lemée, Rémi, La Presse).Au retour d'un voyage à Barcelone, au début de l'été, j'écrivais sur les statues humaines, dont une en particulier. De tous ces spécialistes de la staticité qui forment une véritable galerie artistique sur Las Ramblas, il était le plus accompli. Un homme-horloge, tout de bronze couvert, appuyé sur un lampadaire et qui attirait l'attention par son immobilité totale. Pas un geste, pas un tressaillement, même pas un battement de cils mais un attroupement automatique autour de lui. Incrédules, les gens consultaient leur montre. Cinq minutes, 15, 20, 30. Toujours rien.

Photo : L'homme-statue Stephan Wikaryjak, à visage découvert. (Photo : Lemée, Rémi, La Presse)

Quelques jours après la publication de cet article, je reçois un courriel. " Hé, c'est de notre fils que vous parliez. Un p'tit gars de chez nous. " Il est de ces coïncidences qui n'arrivent qu'en voyage... Eux, les parents, demeurent à La Prairie, mais ils ont élevé leurs deux enfants à l'Île-des-Soeurs. Stephan est leur seul garçon et tiens, justement, il vient à Montréal début décembre...

Sans âge
Coulé dans le bronze, l'homme-horloge semblait sans âge. Mais alors qu'il traverse la salle de rédaction de son long pas élastique, il ressemble à un étudiant.

Son nom de famille, Stephan Wikaryjak, 36 ans, l'a hérité d'un grand-père polonais disparu au front en 1941 et que personne n'a connu. Mais ce n'est peut-être pas par hasard si c'est à Cracovie que l'ex-étudiant en littérature a vu, en 1998, ses premières statues humaines : " Le plus souvent d'anciens militaires qui arrondissaient leurs fins de mois et personnifiaient des soldats. "

Comme un cheval
Ses premiers pros, il les a vus à Barcelone. Il a eu envie d'essayer. " Avec de la pratique, on arrive à relaxer debout, comme un cheval. "

Il a d'abord incarné l'homme jaune qui se promenait avec un téléphone gigantesque et changeait sa mimique quand on y introduisait une pièce.

Puis il en a eu assez et a songé à l'homme-horloge. " Le temps qui passe, c'est l'essence même du métier. Et des horloges, on en retrouve partout, sur les murs, les clochers des églises, ça fait partie de notre quotidien. "

Une fois qu'il a dû se couvrir d'argile pour un contrat, il a passé 1 h 15 sans cligner des yeux. " Je n'essaie pas de battre des records. Quand je travaille, je cligne des yeux aux 30 minutes environ. Une question d'habitude, une forme de méditation, je crois... "

Deux heures par jour
Son prochain repas, les chansons qu'il compose (du pop expérimental), sa prochaine peinture, cette parodie de karaoké qu'il prépare et compte offrir en spectacle, il pense à tout et à rien quand il est statue. Jamais plus de deux heures par jour toutefois : " C'est trop exigeant physiquement et en deux heures, je fais ma journée. "

Alors qu'il ne demande rien et n'empêche jamais qu'on le photographie sans payer, il récolte sans doute plus que tous les autres en une journée. " Obliger les gens à payer, ça devient de la mendicité déguisée. Je trouve ça déshonorant. Deux heures par jour, ça me permet de gagner modestement ma vie. "

Ses temps libres, il les passe à peindre, à composer, à faire des petits contrats de décoration. Parfois, il participe à des fiestas majeures ou des fêtes privées et en gagnant certaines épreuves comme ce concours de staticité à Madrid, il complète ses revenus. Son immobilité est si parfaite qu'il arrive, compliment suprême, que des gens s'appuient sur lui, le confondant avec une véritable statue. D'autres, effrontées, car il s'agit généralement de femmes, lui mettent la main aux fesses.

Quelques grands maîtres
Même dans cette Mecque qu'est Barcelone, les statues de son calibre sont rares : " Il y a ce minier, très impressionnant, dit-il, ce marin dont le bateau tangue et qui suit le mouvement sans bouger. Cet autre, aussi, vêtu d'un veston et d'une cravate qui flotte au vent... Il s'amuse parfois avec les gens mais il est spectaculaire. "

Quand l'homme-horloge regarde au loin, que voit-il dans son avenir? Plusieurs carrières artistiques menées de front ou mises bout à bout. Quoi au juste, dur à dire, mais des arts mur à mur! Ça, c'est déjà coulé dans le bronze.

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