Jan/070
Opération réussie! Pierre reprend des forces, puis diable, il se met à défaillir… Mais qu’est-ce qui se passe?
C'est fier des écrits de ma soeur Louise que je publie aujourd’hui le quatrième d'une série de ses textes forts émotifs portant sur les difficiles combats qu’engendre un diagnostic de maladie grave chez un proche. Un amalgame de mots qui font réfléchir, ça c’est certain! - Jacques Lanciault
Texte de Louise Lanciault
J’attends Pierre dans une salle réservée aux personnes qui accompagnent les patients. La salle est propre et bien éclairée. Le soleil est éclatant. Les infirmières vont et viennent, certaines m’adressent même un sourire malgré qu’elles semblent toutes très affairées.
Je suis assise sagement et je déguste un café bien chaud, histoire de me remettre un peu de mes émotions. À mes pieds, j’ai posé mon sac à poignée rempli de victuailles, de revues et de mon tricot. Une vraie « matante » prévoyante. Je me sens comme une vieille qui attend son petit vieux.
Le café terminé, je sommeille un peu, puis je me mets à mon tricot. Une vraie petite vielle que je vous dis. Je tente de confectionner des rideaux au crochet. J’ai joué avec le patron pour essayer de le rétrécir, mais j’ai dû faire une erreur quelque part; c’est la troisième fois que je recommence. Espérons que ce sera la bonne. Je suis déjà tannée de les voir ces rideaux-là et ils ne sont même pas encore finis, ça promet.
Alors que je suis très concentrée sur les fameux rideaux, une préposée vient m’informer que la chambre pour Monsieur Bisson est prête. Elle me donne les indications pour m’y rendre. J’écoute attentivement dans un premier temps, mais je deviens distraite lorsque je constate que les explications semblent vouloir s’éterniser. Je me dis qu’avec le numéro de chambre, je devrais être capable de m’y retrouver. Je la remercie, je ramasse mon sac et je pars à la recherche du fameux refuge qui sera celui de mon chum pour quelques jours.
Je parcours un premier couloir long sans bon sens. Ah, il y a une toilette. Je décide de m’y arrêter. Erreur. Lorsque je ressors, je n’ai plus aucune idée par quel côté je suis arrivée. Le hic avec les couloirs d’hôpital c’est qu’il n’y a pas beaucoup de repères; ils sont tous pareils. Je longe un couloir, j’en enfile un autre… je ne trouve pas les fameux ascenseurs. Je ne sais plus si je suis dans la partie neuve ou dans la vielle partie. Je dois demander mon chemin, à une personne puis à une autre…Un vrai labyrinthe!
J’ai enfin trouvé la chambre destinée à Pierre. Il occupera le lit près de la fenêtre. Je m’installe dans le fauteuil situé au pied du lit vide. Je sors mon projet de rideau. Une infirmière rentre dans la chambre accompagnée de celui qui sera le voisin de chambre de Pierre pour les prochains jours. Il se présente. « Mon nom est Gérard ». Il me tend la main. Il a l’air gentil. Je suis certaine qu’il s’agit d’un prêtre. J’ai hâte de voir la réaction de Pierre. Je l’entends déjà dire qu’il ne lui manquait plus que ça.
Monsieur Gérard prend possession de la moitié des lieux. Il installe ses vêtements dans sa partie de garde-robe. Pose sa boîte de Kleenex sur la tablette, près de son verre d’eau. Une fois que tout est en place, il se met à me parler. Lorsque Pierre revient de la salle d’opération, je suis en très grande conversation avec celui que j’appelle maintenant monsieur Gérard. La conversation s’arrête avec l’arrivée du cortège, où Pierre est à l’honneur. Deux préposés sont à ses côtés, l’un roule le poteau de soluté et l’autre pousse le lit à roulettes. Une infirmière les suit de près. Dès que je le peux, je saute au cou de Pierre en prenant bien garde de ne pas m’enfarger (moi pis les gaffes) dans les fils et tout le tralala qui sont accrochés à ce lit là.
Pierre est souriant, il ne semble pas souffrant. « C’est fait, Loulou ». Il a l’air presque content. Il parle de ce dont il se souvient, de ce qu’ils lui ont dit. À tour de rôle, les infirmières s’affairent autour de lui pour calibrer les solutés, prendre sa température, sa pression et quoi d’autre. Elles vérifient sa sonde. Pierre s’assure lui-même qu’elle est bien là. « Estie, me voilà bien plogué !!! »
Notre conversation se fait à bâtons rompus, puisqu’il y a toujours quelqu’un qui vient vérifier je ne sais quoi. Nous entendons le brouhaha du souper. Pierre souhaiterait manger. Ça fait trois fois qu’il demande s’il peut manger, ça fait trois fois qu’il se fait répondre la même chose : NON. Je lui fais remarquer qu’il se répète. « Un gars peut bien s’essayer ». Dans le même souffle, il me demande si je peux aller lui chercher quelque chose. NON, attends un peu, la nourriture et l’anesthésie ne font pas bon ménage, à ce que je sache.
Voilà que les yeux lui ferment tout seuls. J’ai d’abord cru que mon babillage ne l’intéressait pas pour ensuite penser qu’il s’agissait simplement d’un effet de l’anesthésie. J’ai comme, tout à coup l’impression que cette chère anesthésie sera présente dans nos échanges pour les prochains jours. C’est sur son dos qu’on mettra toutes les petites pertes de mémoire et toutes les somnolences soudaines qui surviendront.
Pendant que Pierre se tape un petit roupillon, j’en profite pour aller me chercher quelque chose à me mettre sous la dent. Je reviens et en mangeant, je poursuis la conversation amorcée précédemment avec monsieur Gérard. Je sais maintenant beaucoup de choses sur le voisin de lit de Pierre et vice-versa. J’en arrive à croire qu’un hôpital est propice à ce genre de confidences. On se met, comme ça à raconter sa vie à un pur étranger. En passant, monsieur Gérard n’est pas prêtre comme je l’avais pensé. J’apprends que c’est un homme de l’âge de mon père, alors que je lui donnais à peine 60 ans… C’est bien pour dire combien on peut se méprendre sur les gens.
Lorsque Pierre se réveille, je m’assure que tout est correct, je replace ses couvertures, je le borde comme je l’aurais fait pour un enfant, je l’embrasse bien fort. « Bonne nuit, mon Pierrot, fais de beaux rêves! »
J’arrive à la maison et je sens toute la fatigue du monde. Je suis crevée. Je donne des nouvelles à notre fils Pier-Olivier et à des proches par téléphone et c’est sans autre préambule que je monte à l’étage, que je retrouve mon cher lit et que je tombe instantanément dans les bras de Morphée.
La journée du 1er mai 2006 venait de prendre fin.
Le lendemain, avant même qu’il ne soit 7 heures du matin, je suis déjà au chevet de Pierre. Il a bonne mine dans les circonstances même s’il n’a pas tellement dormi. Il a parlé avec monsieur Gérard une partie de la nuit et pour le reste, il a tendu le bras, retenu le thermomètre sous sa langue et a tant de fois montré son « bobo ». Chaque fois, il leur a demandé si tout était correct. Il est un peu anxieux.
Je suis à peine assise à ses côtés que la docteure qui l’a opéré vient rendre visite à son patient. Elle fait un examen sommaire et a l’air satisfaite de ce qu’elle voit. Elle nous dit que l’opération s’est très bien déroulée, mais qu’elle a dû gratter pas mal du côté droit puisque le cancer avait débordé de ce côté-là. Elle nous informe que les ganglions pelviens sont négatifs. Ce qui veut dire que c’est positif, enfin que c’est correct. Ouf! il faut s’atteler pour être sûr de comprendre leur sapré vocabulaire. Les résultats du pathologiste seront disponibles beaucoup plus tard, vraisemblablement au début juin. Ce sont ces résultats qui guideront la suite des choses. Pierre écoute religieusement chacune des paroles de la docteure. Je l’ai rarement vu si attentif.
Pierre ingurgite son déjeuner d’un trait, sans parler, comme un affamé. Lorsqu’il a terminé, il ne reste plus rien dans son assiette et ma foi, je crois qu’il en aurait pris un deuxième comme ça. Non pas que ce soit bon, pour la gastronomie, on repassera. Mais quand on a faim, on a faim. Cependant, il lève le nez sur le café qu’ils lui ont servi. « Du savon à vaisselle, c’est dégueulasse ». Je pars donc nous chercher un bon petit café bien chaud chez Tim Horton, en espérant repérer l’endroit du premier coup et de ne pas me perdre en revenant. Moi, et mon fichu sens de l’orientation!.
Notre café matinal est excellent en ce jour 2. La dernière gorgée avalée, je dois quitter, pour me rendre au bureau. J’informe Pierre que notre aînée, Claudine, viendra lui tenir compagnie cette après-midi. Un beau bec à Pierre, des salutations à monsieur Gérard et je suis partie.
Vers la fin de l’après-midi, je reçois un appel téléphonique de Claudine : « Maman, viens-t’en je crois que papa ne va pas bien du tout. » Misère de misère, qu’est-ce qui arrive. Je suis dans un état d’énervement avancé.
Je me rends à l’hôpital sur les chapeaux de roue…Je rentre dans la chambre. Le décor a changé depuis le matin. Pierre a les yeux dans la graisse de bines. On dirait qu’il n’est plus tout à fait là. Il a le masque d’oxygène, il est branché sur des moniteurs qui n’arrêtent pas de sonner. Claudine est fébrile, elle ne comprend plus rien. Je ne veux pas avoir l’air catastrophé, je tente tant bien que mal de garder mon calme, mais c’est tout de même en courant que je me rends au poste des infirmières. « Bon sang, qu'est-ce qui se passe? » L’infirmière me dit qu’ils ne le savent pas, que monsieur Bisson se trouve dans un état très instable, qu’il fait beaucoup de température et que les battements de son cœur sont irréguliers. Ils sont inquiets, ils ne peuvent pas vraiment le traiter tant qu’ils ne seront pas fixés sur l’origine du mal. Monsieur Bisson sera descendu d’ici quelques minutes pour subir un examen au scanner…Bon Dieu!
Je retourne à la chambre, monsieur Gérard me dit des mots d’encouragements sur mon passage. Sans m’en rendre compte, je me retrouve au seuil de la salle du scan, à attendre celui avec qui j’ai pris paisiblement mon café ce matin et qui allait bien. Quel soubresaut tout de même! On n’a pas idée qu’on puisse basculer aussi vite.
J’ai la chance de parler avec un infirmier qui a l’air à connaître la situation de Pierre. Il me dit qu’ils soupçonnent une embolie pulmonaire. J’apprends que c’est très grave suite à une opération. On me parle d’une question de coagulation de sang. D’un côté, il faut que le sang coagule pour guérir la plaie, mais lorsqu’il y a embolie il faut que le sang ne coagule pas trop puisque c’est propice à la formation d’un caillot, lequel pourrait s’avérer fatal. Cours d’embolie pulmonaire 101, s’il en est. Ce que je comprends de tout ça c’est que Pierre se trouve probablement dans un état très grave.
Comment expliquer la situation à Claudine qui nous attend dans la chambre? Comment ne pas s’affoler et crier comme une perdue? L’adrénaline me « drive ». Pierre garde les yeux fermés, il n’en mène pas large.
Claudine quitte l’hôpital, je lui promets de la tenir au courant des nouvelles. Je me retrouve à côté de Pierre, je le trouve d’un calme… plat. Il semble aller mieux, la fièvre a baissé. On nous dit que les résultats ne seront disponibles que tard en soirée, peut-être durant la nuit. Je décide de quitter les lieux après avoir effectué le même rituel que celui de la veille. Je le borde, l’embrasse et lui souhaite bonne nuit. Je salue monsieur Gérard, lui dis le mot de « Cambronne » pour son opération du lendemain. Il se fera opérer pour un cancer des intestins et craint de se retrouver avec un sac…
Arrivée à la maison, je m’écroule dans ma chaise berçante. Je suis seule, Pier-Olivier travaille ce soir. Je donne quelques coups de téléphone pour respecter mes promesses de donner des nouvelles. Je vais à l’essentiel, une version courte comme on dirait. Je suis à l’envers, je ne sais plus à quel Saint me vouer. Je m’endors tout de même rapidement en me disant que demain, sera un autre jour…
À suivre…
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