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Les locutions du jour : pro-vie… ou anti-avortement

Revue de presse

François Cardinal, vice-président information et éditeur adjoint de La Presse

Doit-on dire pro-vie… parce qu'ils disent pro-vie?

Si vous êtes un fidèle de notre nouvelle section Contexte le dimanche, vous dévorez assurément les capsules de notre conseillère linguistique Lucie Côté.

Son travail consiste à répondre à vos questions sur la langue française, mais surtout, à diriger l’équipe de réviseurs et à conseiller les journalistes et pupitreurs sur le bon mot, la bonne expression, la bonne orthographe à favoriser.

Mais de temps en temps, la décision de privilégier tel ou tel mot dans nos articles n’est pas simplement grammaticale ou linguistique : son choix relève alors de la direction de l’information de La Presse, car le mot est critiqué, controversé, litigieux ou nécessite une réflexion éthique.

Ce fut le cas il y a quelques mois avec le mot féminicide, par exemple. Je vous avais expliqué en début d’année pourquoi nous utilisions dorénavant l’expression « féminicide présumé » dans nos articles.

Or un autre exemple de mot potentiellement litigieux s’est immiscé dans votre Presse ces derniers jours avec le retour en force du débat sur l’avortement aux États-Unis, mais aussi ici au Québec, où les groupes s’organisent et où certains accusent la « vaccination expérimentale » contre la COVID-19 de causer des fausses couches.

Ces groupes ont en commun de faire partie du mouvement contre l’avortement. Des groupes qui se qualifient eux-mêmes de « pro-vie »…

Doit-on en faire autant dans La Presse ?

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Le choix des mots est toujours important, mais il l’est encore plus dans un contexte aussi délicat que celui entourant l’avortement.

On en avait d’ailleurs la preuve dans le texte publié la semaine dernière par la journaliste Florence Morin-Martel, car les militants opposés à l’avortement y jouaient eux-mêmes avec les mots dans le but de frapper les esprits et de convaincre. Preuve que la langue peut être une arme redoutable.

Les militants soutenaient par exemple que plusieurs vaccins sont produits ou testés à l’aide de lignées de cellules tirées de fœtus avortés, ce qui est faux.

Ils affirmaient que le vaccin contre la COVID-19 est « très dangereux », alors que le virus serait quant à lui « inoffensif ».

Ils évoquaient les risques que font courir les vaccins « expérimentaux », alors qu’ils n’en sont pas.

Autant d’affirmations qui relèvent d’un biais idéologique évident. De la même manière que l’expression « pro-vie » reflète une volonté d’influencer le débat public.

***

Les militants de cette mouvance se qualifient de pro-vie, car ils affirment défendre le droit à la vie.

On retrouve ainsi des organismes comme Campagne Québec-Vie. Ou encore, l’Association des médecins pour le respect de la vie.

Mais dans les faits, ces regroupements ne sont pas autant « pour » la vie que contre le droit à l’avortement.

Il s’agit ici d’un fait, non pas d’une opinion.

On le réalise d’ailleurs en poussant plus loin l’argumentaire de ce mouvement militant.

Ces organisations se retrouvent sous l’appellation « pro-vie ». Certains la déclinent en se disant aussi « pro-femme, pro-vérité et pro-voix ».

Mais on voit rapidement les limites de l’expression pro-vie en la confrontant à la réalité.

Comment, par exemple, ce terme peut-il englober l’ensemble de leurs positions quand on sait qu’une partie des militants opposés à l’avortement aux États-Unis sont favorables à la peine de mort ? Sous prétexte que cette condamnation protège la vie des innocents.

Sont-ils donc vraiment « pro-vie » ? Et si oui, comment devrait-on désigner ceux qui s’opposent à la peine de mort ?

D’ailleurs, s’il y a une partie « pro-vie » dans le débat sur l’avortement, cela signifie qu’il y a en face une position… pro-mort ? Ou anti-vie ?

Comme le fait remarquer par courriel un lecteur, Jean-François Danis, « le terme pro-vie est injuste puisqu’il implique que le reste de l’humanité n’est pas en faveur de la vie alors que c’en est probablement une valeur fondamentale ».

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La question n’est pas que rhétorique, d’ailleurs. S’il y a des pro-vie, il y aurait donc en face d’eux des « pro-avortement » ?

Or cette dernière expression n’est pas plus appropriée que « pro-mort », car il serait réducteur de dire que ces militants sont « favorables » à l’avortement. La plupart sont plutôt pour le droit au recours à l’avortement légal et encadré comme issue à des situations difficiles… tout en s’opposant à l’avortement forcé.

Voilà pourquoi on dit pro-choix, une expression cette fois qui reflète la réalité. Car ces militants sont pour le droit des femmes de choisir pour elles-mêmes, de contrôler leurs grossesses et leur fertilité.

Alors qu’en face, il y a ceux qui sont contre ce droit. Qui voient l’avortement comme la mort d’un enfant. Et donc, qui s’opposent à l’avortement.

Il n’y a donc rien d’idéologique à les qualifier de groupes anti-avortement. Ou anti-choix à la limite.

***

Voilà pourquoi à La Presse nous privilégierons désormais, à la suite d’une réflexion entamée ces dernières semaines, les termes pro-choix d’un côté, et anti-avortement de l’autre. Des expressions qui reflètent le débat pour ou contre l’avortement.

Car il ne nous appartient pas de relayer le branding d’un mouvement, ou de répéter sans nous poser de questions leurs choix de mots. Il en va de même des antimasques et des antivaccins qui se décrivent comme des « pro-choix », d’ailleurs.

Le terme pro-vie peut être utilisé dans les citations, dans les propos rapportés, lorsqu’une personne interviewée emploie l’expression. Mais pas dans le texte d’un journaliste pour qualifier le mouvement.

Le but ici n’est nullement de prendre position pour une partie ou pour l’autre. Ce n’est pas non plus de se positionner pour ou contre ceux qui s’élèvent contre l’avortement.

Les chroniqueurs peuvent s’exprimer sur le sujet, qu’importe leur opinion. L’équipe éditoriale peut affirmer de quel côté elle se place.

Mais pour la direction du journal, pour le rédacteur en chef que je suis, il importe de se tenir loin de toute position… mais aussi de toute campagne de promotion.

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.

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