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Procès – La réalité virtuelle pour piéger les derniers nazis

Revue de presse

Deborah Cole, Le Devoir, le 3 octobre 2016

Auschwitz, Pologne

À travers le casque de réalité virtuelle, les images glaçantes apparaissent : la voie de chemin de fer, l’imposante entrée en brique, l’alignement de baraques identiques, les chambres à gaz, les crématoires.

En utilisant une technologie développée par la police judiciaire de Munich (LKA), en Bavière, les policiers et les procureurs allemands enquêtant sur les derniers criminels de guerre nazis peuvent se plonger dans une reconstitution 3D extrêmement précise du camp de concentration d’Auschwitz.

Photo ci-dessus : L’entrée du camp d’Auschwitz où l’on peut lire l’expression allemande « Arbeit macht frei », c’est-à-dire : Le travail rend libre. (Photo: Valery Hache Agence France-Presse)

« Des suspects ont souvent prétendu qu’ils travaillaient à Auschwitz mais qu’ils ne savaient pas réellement ce qui s’y passait », explique à l’AFP Jens Rommel, directeur de l’agence fédérale enquêtant sur les crimes de guerre nazis.

« Il est donc question de savoir si le suspect a pu ignorer que des gens étaient conduits dans les chambres à gaz ou fusillés, poursuit-il. Cette modélisation peut justement aider à répondre à cette question ».

Créée par Ralf Breker, l’expert en imagerie numérique du LKA, cette animation 3D reproduit avec un niveau de détail impressionnant le tristement célèbre camp nazi, qui était situé en Pologne occupée et où plus de 1,1 million de personnes sont mortes durant la Seconde Guerre mondiale.

« À ma connaissance, il n’existe pas de modèle plus exact d’Auschwitz, indique M. Breker dans son atelier. C’est beaucoup plus précis que Google Earth. Nous utilisons les lunettes de réalité virtuelle les plus en pointe du marché. Quand je zoome, je peux voir jusqu’aux plus petits détails », précise-t-il.

Comme dans les années 1940
En enfilant ce casque, les procureurs, les juges et les plaignants peuvent vivre l’expérience glaciale de se déplacer à leur guise dans l’Auschwitz des années 1940. Ils croisent alors une file interminable d’avatars de prisonniers tandis qu’un silence étrange flotte dans l’air. Même les arbres sont précisément là où ils étaient, afin de pouvoir déterminer s’ils bloquaient la vue depuis une certaine position. « Cette modélisation permet d’avoir une meilleure vue d’ensemble du camp et de pouvoir recréer la perspective d’un suspect, par exemple depuis une tour de garde », avance M. Breker.

Le cas ayant inspiré le projet est celui de Johann Breyer, un mécanicien à la retraite né en Tchécoslovaquie de mère américaine, soupçonné de complicité dans l’assassinat de 216 000 juifs hongrois à Auschwitz. Mais cet homme est décédé en juin 2014 à l’âge de 89 ans, juste avant qu’un tribunal américain n’approuve son extradition vers l’Allemagne.

Cette année, la modélisation 3D d’Auschwitz a été utilisée dans le procès de l’ancien garde SS Reinhold Hanning, jugé coupable de complicité dans le meurtre de 170 000 personnes et condamné en juin à cinq ans de prison. Quelques dizaines d’autres cas occupent actuellement M. Rommel et son équipe, dont « plusieurs » sont toujours vivants et pourraient être traduits en justice.

Plans et images d’époque
Pour reproduire l’enfer sur terre avec son ordinateur, M. Breker a utilisé le cadastre polonais et plus de 1000 images d’époque afin de créer des orthophotographies — images aériennes ou cartes traitées pour éliminer les déformations dues au relief ou à la perspective — sur lesquelles des bâtiments peuvent être superposés. Il s’est ensuite rendu deux fois à Auschwitz en 2013 pour parachever son modèle. Avec un collègue, ils ont utilisé un scanner laser terrestre pour créer des images 3D des bâtiments toujours debout. Quant aux bâtiments détruits en 1945 par les Allemands lors de leur fuite lors de l’offensive de l’armée soviétique, ils ont dû être reproduits virtuellement grâce aux vastes archives sur le camp.

« Les Allemands étaient très précis. Nous avons pu reconstruire toutes les structures parce que nous avions des plans pour chacune d’entre elles », rapporte M. Breker.

L’enquêteur aguerri pâlit à l’évocation de ce qu’il a appris là-bas. « Notre équipe s’occupe uniquement de meurtres et nous sommes normalement les premiers à arriver sur une scène de crime donc nous voyons beaucoup de choses très désagréables, raconte-t-il. Mais quand je revenais d’Auschwitz tous les soirs dans ma chambre d’hôtel, j’étais secoué. Chaque jour nous étions avec le directeur des archives et il nous a donné tellement de détails terrifiants… »

Récit d’horreur
Ralf Breker a été particulièrement choqué par le récit de la campagne menée contre les juifs hongrois entre mai et juillet 1944, au cours de laquelle 438 000 furent déportés à Auschwitz-Birkenau. Le nombre de personnes gazées et de corps brûlés chaque jour était tel que les cheminées craquèrent sous l’excès de chaleur dégagé, conduisant les SS à brûler les corps sur des bûchers à l’extérieur des crématoires. « Puis les SS ont construit de quoi évacuer la graisse dégagée par la crémation des corps, qui pouvait ensuite être utilisée pour alimenter le feu de la crémation suivante, dit avec effroi M. Breker. Il n’existe pas de mot pour décrire cela », murmure-t-il.

Une fois les dernières affaires criminelles closes, le LKA serait en théorie disposé à prêter sa modélisation 3D au mémorial de l’Holocauste Yad Vashem à Jérusalem ou à celui d’Auschwitz. « Nous devrons faire très attention à ce que personne ne le vole », prévient M. Breker, confiant que le « cauchemar » serait une utilisation malveillante de ces données, par exemple pour la création d’un jeu vidéo.

En enfilant un casque, les enquêteurs peuvent vivre l’expérience glaciale de se déplacer dans Auschwitz.

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.

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