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Pourquoi le baseball majeur ne reviendra pas à Montréal de sitôt

La métropole n’a tout simplement pas les moyens de faire partie des ligues majeures

Revue de presse

Daniel Poulin, Le Devoir, le 8 juillet 2016

Daniel Poulin - Journaliste retraité de Radio-Canada, Daniel Poulin a couvert la scène sportive pendant une trentaine d’années. Il a également été témoin du déclin des Expos, contribuant à titre de coauteur à «La saga des Expos : Claude Brochu s’explique» (Libre Expression, 2001). Il est aussi l’auteur de «L’affaire Lindros» (Guy Saint-Jean éditeur, 1991), «Dans les coulisses de 110% » (Éditions au Carré, 2010) et «Pour l’amour du CH» (Éditions au Carré, 2013).

Russell Martin

NDLR : Voici un texte que j’avais raté durant mon séjour avec l’ABC… un papier fort intéressant !

On parle de plus en plus du retour d’une équipe de baseball majeur à Montréal. Encouragés par le soutien d’un maire populiste convaincu du bien-fondé de ce rêve, les instigateurs de cet ambitieux projet sont mis devant un ensemble d’obstacles qui rendent la concrétisation de leur plan plutôt aléatoire. Ceux qui s’imaginent que le Stade olympique pourrait encore accueillir une équipe de baseball majeur rêvent en couleurs. Le commissaire Rob Manfred n’endossera jamais une telle option. De surcroît, les conditions climatiques de Montréal vont forcer l’érection d’un stade avec toit rétractable. En 1989, le Skydome de Toronto (maintenant Rogers Stadium) avait coûté 370 millions. Trente ans plus tard, un stade similaire ne pourrait se faire à moins du double de ce montant. D’ailleurs, au cours des dix dernières années, cinq nouveaux stades ont été construits aux États-Unis à des coûts oscillant entre 435 millions (Twins) et 1,1 milliard (Yankees). La même année (2009), les Mets ont également élu domicile dans un tout nouveau stade (City Field) plus modeste (!) au coût de 688 millions. Et, croyez-le ou non, c’est la Ville de New York qui est propriétaire des deux nouveaux édifices. On imagine mal Montréal éponger à elle seule la facture d’un nouveau stade au centre-ville.

Photo ci-dessus : Le récent succès commercial des deux matchs des Blue Jays de Toronto dans un Stade olympique rempli à craquer ne signifie pas pour autant qu’on est prêt à soutenir une équipe montréalaise pendant 80 matchs par saison pour des années à venir. (Photo : Martin Métivier)

Pour se porter acquéreur d’un club déjà existant — si jamais le baseball approuvait le déménagement d’une équipe —, il faudrait en toute probabilité prévoir près de 1 milliard $US. La dernière équipe à avoir été vendue (Padres de San Diego) a coûté 800 millions à ses nouveaux propriétaires. Deux villes traversent présentement une période difficile : Oakland dans l’ouest et Tampa Bay dans l’est. Et dans les deux cas, on parle de la construction d’un nouveau stade pour ainsi garder l’équipe sur place. Le maire de St-Petersburg étudie depuis février un projet soumis par les Rays ; les pressions sont fortes pour éviter le départ d’une des deux équipes de Floride. Pour ce qui est des A’s d’Oakland, il serait impensable qu’ils déménagent dans l’est si les élus municipaux n’approuvent pas la construction d’un nouvel édifice. Las Vegas serait alors envisagée. Quant à l’éventualité d’une expansion des cadres, elle ne figure pas dans les plans du baseball majeur pour l’instant. Et si jamais l’on procédait à un tel élargissement, le commissaire ne se cache pas pour dire qu’il rêve d’une internationalisation du baseball (Mexique ? Europe ? Japon ?).

Manfred n’est pas bête : il laisse miroiter la candidature de Montréal dans des déclarations médiatiques qui n’ont aucun poids et qui ne l’engagent en rien. Dans le cas où Montréal serait sur les rangs, les exigences financières seront très élevées. En plus du coût initial de l’acquisition d’une franchise (1 milliard), le baseball demanderait des garanties budgétaires assurant un fonds de roulement et une continuité financière à long terme ne comptant aucunement sur des subventions. De plus, l’accès à la péréquation serait inaccessible pour une période prolongée. Et la masse salariale se situera sans doute dans la moyenne des deux ligues, autour de 400 à 500 millions par année. En tout et partout, l’arrivée d’une équipe de baseball majeur à Montréal représentera pour ses investisseurs une acquisition excédant 2 milliards $US ; donc près de 3 milliards en dollars canadiens.

Là où la situation se complique pour Montréal, c’est le passé négatif pas très lointain du monde des affaires dans le dossier du départ des Expos. Mécontents de la gestion de Jeffrey Loria durant les dernières années de l’équipe montréalaise, les ex-partenaires ont accusé le baseball majeur d’être de connivence avec le nouveau propriétaire pour dévaluer les Expos (Loria avait progressivement racheté les parts de ses coactionnaires à la suite d’une série d’appels de fonds auxquels ces derniers n’avaient pas donné suite), traînant même en cour américaine la « Major League Baseball » et son commissaire Bud Selig sous des chefs d’accusation découlant d’une loi rarement utilisée et qui avait été ajoutée au Code criminel en 1970 pour lutter contre le crime organisé, le « Rico Act ». Les partenaires québécois, Jacques Ménard en tête, ont tout perdu : la poursuite, leur argent et la face. Au bureau du commissaire, on ne l’a pas digéré : être accusés comme de vulgaires criminels par de soi-disant hommes d’affaires sérieux, ça laisse des traces. Aujourd’hui encore, certains gouverneurs du baseball majeur éprouvent une aversion viscérale vis-à-vis de Montréal. Quand viendra le temps d’approuver ou de rejeter une demande d’accession de Montréal dans ce groupe sélect de propriétaires multimillionnaires très souvent mégalomanes, on devine facilement la réponse. Les cicatrices laissées par cette poursuite sont encore vives ; elles mettront beaucoup de temps à se refermer.

Le récent succès commercial des deux matchs des Blue Jays de Toronto dans un Stade olympique rempli à craquer ne fait que confirmer deux choses : les Québécois aiment le baseball et Montréal est une ville événementielle. Encourager une équipe durant un week-end ne signifie pas pour autant qu’on est prêt à la soutenir pendant 80 matchs par saison pour des années à venir. D’autant plus que la renaissance du baseball à Montréal ne verrait pas une équipe gagnante du jour au lendemain. Or, on ne cesse de dire de Montréal qu’elle aime les gagnants. Même les Alouettes de la Ligue canadienne de football arrivent difficilement à remplir leur stade agrandi depuis que l’équipe éprouve des ennuis sur le terrain dans une courte saison de moins de dix matchs à domicile. Au soccer, l’Impact peine à jouer à guichets fermés régulièrement.

La présence des Bronfman père et fils durant les cérémonies d’avant-match des Blue Jays le samedi après-midi en a ravi plus d’un. Elle n’aura servi qu’à exciter les Rodger Brulotte de ce monde qui ont vu là le signe que les richissimes Montréalais voulaient s’impliquer à nouveau dans le rêve du retour des Expos. Sauf que le fils Bronfman, sous les conseils de son paternel, ne serait prêt à investir qu’un maigre 50 millions si jamais le projet voyait le jour. On est très loin des milliards requis pour mener à bonne fin une telle aventure. Dans la vie, disaient les anciens, il faut avoir l’ambition de ses moyens. Montréal n’a tout simplement pas les moyens de faire partie des ligues majeures.

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.

Remplis sous: Baseball et softball Mots clés:
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