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Vive l’art public, même si…

Des ados avec des chandails sur des poteaux? On va se le dire, ce n’est pas le pitch le plus excitant qu’on ait entendu. Mais l’art, ça se vit mieux que ça se décrit.

Mathieu Charlebois, L'actualité, 19 février 2016

Le contour des conifères…, Jean-Robert Drouillard, Montréal, Québec

«Le contour des conifères dans la nuit bleue et les étoiles derrière ma tête sont dans tes yeux».

Est-ce le refrain d’une chanson refusée d’Avec pas d’casque? Est-ce une phrase écrite au hasard sur un frigidaire avec les petits aimants qui ont des mots dessus? Sont-ce les paroles d’un poète en train de faire un AVC?

Que nenni! Il s’agit du titre de l’œuvre que la ville de Québec offre à Montréal pour son 375e anniversaire, en 2017. Bonne fête Montréal?

«Le contour des conifères dans la nuit bleue et les étoiles derrière ma tête sont dans tes yeux»… Y a pas à dire, ça roule dans la bouche comme une brouette en carton sur une route de crème fouettée dans les intestins d’une chamelière rousse. (Ben quoi? Moi aussi je suis capable d’aligner des mots de façon aléatoire!)

Mais au-delà du titre, de quoi parle-t-on?

Photo ci-dessus : «Le contour des conifères dans la nuit bleue et les étoiles derrière ma tête sont dans tes yeux», une oeuvre de Jean-Robert Drouillard. (Photo : Jacques Lanciault, 2018)

LCDCDLNBELÉDMTSDTY (pour faire court) est une œuvre composée de quatre colonnes de 16 pieds de hauteur, sur lesquelles trônent des adolescents sculptés en bronze. Ceux-ci portent un chandail de sport qui souligne des événements marquants de l’histoire des deux villes et présente un animal boréal.

Je… heu… hein?

À première vue, on serait prêt à penser que la ville de Québec nous «trolle», ou même qu’elle essaie de nous refiler un cadeau qu’elle a elle-même reçu dans un échange d’œuvres d’art, Noël dernier.

On s’imagine le maire de Québec se dire, en rigolant, «Kin, mon Denis, tu viens de gagner un chandail d’écureuil su’l top d’une colonne! Ça sonne comme un gros paquet de n’importe quoi, tes snobs de Montréalais vont aimer ça!»

Je dois l’avouer, quand j’ai décidé d’écrire un texte à propos de LCDCDLNBELÉDMTSDTY, c’était d’abord pour tourner le projet en dérision. Tel un requin de la méchanceté gratuite, j’étais attiré par l’odeur de sang de la description et du titre improbable de l’œuvre.

Sauf que j’ai fait quelques recherches sur l’artiste, Jean-Robert Drouillard, et j’ai découvert que son art est généralement pas mal intéressant.

Schnoutte. Moi qui rêvais d’une cible facile sur laquelle j’allais pouvoir écrire n’importe quoi, je comprends maintenant pourquoi Sophie Durocher évite de googler avant de bloguer.

Alors en lieu et place du festival de la mauvaise foi prévu, voici donc trois choses à garder en tête quand on discute d’art public.

Des ados avec des chandails sur des poteaux? On va se le dire, ce n’est pas le pitch le plus excitant qu’on ait entendu. Mais l’art, ça se vit mieux que ça se décrit.

Feriez-vous un voyage jusqu’à Paris pour aller voir un homme qui pense à sa liste d’épicerie assis sur une roche? (Et qui le fait nu, comme il est d’usage quand on se demande s’il reste ou pas des œufs dans le frigo.)

Paieriez-vous des millions de dollars pour le tableau «Gars qui crie sans raison sur un pont devant ce qui semble être un coucher de soleil, c’est pas clair, mais en tout cas le ciel est orange»?

Et quand on parle d’art contemporain, l’exercice se corse encore plus. Cet été, j’ai eu la chance de voir un zèbre qui s’envole et se désagrège en laissant derrière lui des noix de coco et du fil de laine de couleur, le tout dans une boîte de plexiglas.

Comme la description de cette œuvre du sculpteur David Altmejd le laisse présager… c’est une des plus belles choses que j’ai vues de ma vie.

Après avoir été ému par des noix de coco, croyez-moi, «des ados sur des poteaux», on a presque envie d’y croire.

Le monde n’est jamais content
Peu de choses font l’unanimité dans notre société. L’idée que les émissions pour enfants étaient meilleures dans notre temps en est une. Celle que [insérez le titre d’une œuvre d’art public] est un gaspillage de notre argent en est une autre.

C’est à chaque fois la même chose, et le fait que l’art qui se fait aujourd’hui est souvent plus abstrait ou déconstruit qu’à une autre époque n’aide pas.

Mais alors que certains sculpteurs donnent l’impression d’exposer leur collection de grosses roches, le travail de Jean-Robert Drouillard n’est pas si cryptique. Pourtant, ça n’a pas empêché une de ses œuvres, un vraiment très cool homme avec un panache, de diviser la population de Gaspé. Un homme. Avec un panache. SCANDALE !

Si vous cherchez l’œuvre d’art qui va faire l’unanimité, allez acheter un cadre chez Ikea.

On n’y peut rien, il y aura toujours des gens déçus que les peintres gâchent leur talent à peindre autre chose que de beaux paysages ou, s’il pleut trop pour sortir avec un chevalet, des paniers de fruits. Ils sont là à regarder un Picasso en pensant que c’est dommage que le nez ne soit pas à la bonne place. «Bob Ross ou Muriel Millard, ils t’auraient fait de quoi de beau, eux.»

Est-ce possible que LCDCDLNBELÉDMTSDTY, une fois dévoilé, soit laid, raté et sans intérêt? Bien sûr. Est-ce que ce sera alors la preuve que c’est du gaspillage, l’art public? Bien sûr que non!

Il en va des œuvres d’art comme des bébés: il faut parfois en faire trois ou quatre assez moches avant d’en faire un magnifique. (Hoooo, arrêtez. C’est pas beau un bébé naissant, et vous le savez.)

Chaque nouvelle œuvre ne peut pas être la plus belle chose jamais créée. Les sculptures «bof» sont le prix à payer pour avoir parfois droit à des merveilles comme L’Homme de Calder ou le Simple fouet en Taichi de Ju Ming.

Je sais que LCDCDLNBELÉDMTSDTY va s’attirer toutes les critiques possibles avant même que la première brique de bronze ne soit mise au four, mais je l’affirme quand même publiquement: j’irai la voir avec plaisir quand elle sera dévoilée au printemps 2017.

Et avec un peu de chance, Jean-Robert Drouillard aura eu le temps de trouver un vrai titre d’ici là. (Pour vrai, monsieur Drouillard. Aidez-moi à vous défendre!)

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.

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