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Août/14
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Un dimanche à la corrida

NDLR : Tout comme l’auteur de ce superbe texte publié dans La Presse, nous avons également assisté à une corrida un dimanche soir. Nous, nous étions à Séville, mais c’est la seule différence, notre expérience ayant suscité les même émotions et le même questionnement.

(Pour lire notre texte, cliquez sur le lien ci-contre : Notre première corrida!)

Revue de presse

Gabriel Béland, La Presse , le 20 août 2014

Corrida à Séville

(Madrid) Le ciel rosé du soir, l'air chaud et moelleux de l'été madrilène et cette rumeur qui enveloppe toujours les soirées de la capitale, mêlée du bruit des cafés et de cette langue espagnole qui sautille et chante.

Photo ci-dessus : Spectacle pour le moins troublant que d’assister à une corrida où la « mise à mort » est en vigueur! (Photo Jacques Lanciault, juin 2014)

Tout indiquait un dimanche soir paisible à Madrid. Mais c'était sans compter la corrida, qui réservait au voyageur des heures de poussière et de sang. Et de doute aussi, avec cette question qui assaille immanquablement le néophyte: devrait-on être assis ici à regarder un taureau se faire trucider?

De prime abord, on croit à un autre produit touristique inoffensif. Les guides de voyage recommandent la corrida. L'entrée de la superbe arène Las Ventas est ponctuée de kiosques de souvenirs. Un rabatteur harangue même les passants en anglais pour leur offrir des billets hors de prix. Il y a des aimants à vendre, alors, immanquablement, le touriste se sent à sa place...

Puis la corrida commence. Dès le premier des trois tercios, le néophyte prend la mesure du spectacle à la fois sublime, tragique et cruel qui se joue sous ses yeux. Le taureau sort dans l'arène, ébloui. Les toreros le fatiguent avec de grandes capes. Sur son cheval, le picador vient piquer la bête de sa lance. Puis les banderillos lui enfoncent dans la chair des bâtons en forme de harpon. Le sang lui recouvre les flancs.

«Pourquoi elle est rouge, la vache?», demande une fillette de 3 ans assise derrière nous. «C'est de la peinture», répond le père.

Dans le troisième acte, le matador entre en scène. Il réussit quelques passes au goût des spectateurs, qui applaudissent.

Puis, vient le moment de l'estocade. À cette étape, la bête est à bout après 15 minutes de torture. Le matador sort son épée, fixe le taureau puis la lui enfonce dans la cage thoracique. C'est l'apogée du spectacle, le moment où le matador prouve son courage et sa dextérité.

Le taureau, lui, agonise. Du sang coule de sa bouche. Ses jambes avant s'affaissent, puis il tombe sur le flanc. Un torero accourt et d'un coup de poignard tue la bête.

Les spectateurs applaudissent, mais la scène n'a pas plu à tous. À côté, deux touristes se lèvent et partent en coup de vent. La dame se tient la bouche et retient ses larmes. Une autre spectatrice les imite.

Ce n'est pourtant que le début: cinq autres taureaux subiront le même sort ce soirlà aux arènes de Las Ventas, à Madrid.

Y aller ou pas?

Après deux heures de ce spectacle, on ressort un peu ébranlé. Non, la corrida n'est pas un autre produit touristique inoffensif. Elle est plutôt un rite controversé qui a fasciné les générations, de Goya à Ernest Hemingway. Un sacrifice - car c'en est un - qui vous plonge dans l'âme de l'Espagne, mais qui, aujourd'hui, la divise.

«D'un peuple de boeufs, je ne suis pas issu, écrivait le grand poète Miguel Hernandez, mort dans les prisons de Franco à l'âge de 31 ans. Mon peuple chante, le saut du lion, l'aigle qui fond droit sur sa proie, et la puissante charge du taureau, dont l'orgueil est dans les cornes.»

Pour ceux qui «chantent la charge du taureau», la corrida est un art. Ils font valoir que l'animal qui se trouve dans notre assiette subit une mort beaucoup moins «noble», voilée d'hypocrisie.

Pour ses détracteurs, elle est un jeu vain et cruel. La corrida est même interdite en Catalogne depuis 2012. Les sondages démontrent par ailleurs que les Espagnols y sont de moins en moins intéressés.

Alors la question se pose: y aller ou pas? PETA, le groupe de défense des animaux, recommande aux touristes de boycotter la corrida. «Vérifiez avec votre agence de voyages qu'aucune corrida ne fait partie de votre séjour», conseille le groupe.

Sur des sites comme TripAdvisor se trouvent les témoignages de voyageurs horrifiés - bien qu'ils ne forment pas la majorité. «J'ai regardé quatre ou cinq combats et je ne pouvais plus regarder davantage, dit un commentaire récent. Je suggère que vous regardiez de la corrida en ligne avant de décider d'y aller en touriste.»

Mais la corrida, tout aussi sanglante et cruelle soit-elle, offre au voyageur ce que le voyage lui offre désormais trop peu: de l'inconfort. Elle le fait douter, le met mal à l'aise, le confronte à une tradition qui n'a pas encore été aseptisée.

On en ressort un peu ébranlé, donc. Il est 21h, le temps d'aller trouver une table où, autour d'une bouteille de vin de la Rioja, débattre de la corrida.

Ce sera en fin de compte aux Espagnols de trancher. Le voyageur, lui, n'est qu'observateur. Quand il rentre à la maison, il a le luxe de laisser derrière lui l'Espagne et ses débats de société. Le luxe de laisser décanter encore longtemps les deux heures qu'il vient de vivre. Le luxe de ne jamais devoir trouver de réponses aux questions que la corrida a plantées en lui comme une épée dans la chair d'un taureau.

Revue de presse publié par Jacques Lanciault

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