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Karl Gélinas: l’élégance au monticule

Revue de presse

Carl Tardif, Le Soleil, le 24 mai 2014

Karl Gélinas(Québec) Karl Gélinas deviendra, en 2014, le lanceur le plus victorieux de l'histoire des Capitales de Québec. Il s'impose depuis déjà sept saisons sur le monticule du Stade municipal, où les frappeurs adverses sont la plupart du temps déroutés par son répertoire. À 30 ans, l'élégant droitier ressemble à une bouteille de vin qui s'améliore avec le temps!

Photo ci-dessus : En plus de lancer pour les Capitales, Karl Gélinas dirige un centre d'entraînement de type Crossfit.(LE SOLEIL, JEAN-MARIE VILLENEUVE)

Sans se réjouir du sort que les Phillies de Philadelphie lui ont réservé, ce printemps, les Capitales n'étaient pas déçus de voir revenir Karl Gélinas pour une huitième campagne dans la ligue Can-Am de baseball indépendant. «J'ai encore de l'excitation à chaque fois que je prends la balle», avoue le numéro 34, rencontré récemment en prévision du premier match du calendrier 2014 des quintuples champions en titre, hier soir, à Rockland.

Avant d'atterrir à Québec en 2007, Gélinas sortait d'un parcours écourté dans le baseball affilié, où il a été rattrapé par sa décision d'emprunter la voie rapide sur l'autoroute menant vers les ligues majeures. En 2006, un test antidopage échoué lui avait valu une suspension de 50 matchs et une éventuelle libération printanière après cette saison marquée par une fiche déficitaire de 3-8 au niveau A.

«J'ai fait une gaffe monumentale, je ne m'en suis jamais caché. Ça fait partie de mon cheminement, j'ai appris à vivre avec cette erreur. Ça m'a fait grandir comme personne. Avec du recul, je ne le referais pas, mais je ne peux pas vivre avec du regret parce que ça m'a amené où je suis, aujourd'hui. Qui sait ce que je serais devenu si ce n'était pas arrivé», admet celui qui parle ouvertement de ce moment peu honorable.

Il s'agit d'un épisode incontournable de sa carrière, bien sûr, mais celle-ci ne se limite pas à cela. Depuis, il s'est rebâti une crédibilité dans le milieu. Aujourd'hui, on connaît le vrai Karl Gélinas, mais d'où vient-il? Portrait d'un grand lanceur!

Le plus petit à 6'3''
Il n'est pas étonnant de le voir se déplier sur le monticule, son père Marc ayant été lanceur dans les filiales des Pirates de Pittsburgh de 1977 à 1980, obtenant d'ailleurs 13 départs avec les Bisons de Buffalo au niveau AA (fiche de 4-7) en 1979. «J'aurais aimé le voir à part que dans de très brefs vidéos», dit-il à propos de celui qui a maintenu un dossier de 22-30 en quatre saisons professionnelles.

Né à Laval, c'est à Rockland, en banlieue d'Ottawa, qu'il a grandi quand son père travaillait à Baseball Canada et à l'Association canadienne des entraîneurs. Là-bas, il a joué au baseball et au hockey mineur avec Derek Roy, attaquant des Blues de St. Louis. «Il n'était pas trop bon au base, mais cibole qu'il l'était au hockey...»

Karl devra attendre la fin de l'adolescence pour profiter de l'avantage de la famille Gélinas. À 6'3", il est le plus petit des trois hommes de la maison, son père mesurant 6'7" contre 6'4" pour son jeune frère Éric, défenseur de 22 ans avec les Devils du New Jersey. Du haut de ses 6'6", son oncle, Pierre Gélinas, a aussi été un joueur de ligne offensif des Alouettes de Montréal et des Tiger-Cats de Hamilton.

Le baseball a toujours pris plus de place dans ses activités sportives, même si l'entraîneur de l'équipe midget AAA de la Rive-Sud l'avait retranché en lui disant qu'il n'avait pas le potentiel nécessaire dans ce sport... Il s'est retrouvé à Lac-Saint-Louis, et de là, avec les Ailes du Québec, l'Académie de baseball du Canada et les RiverHawks de l'Université Northeastern, en Oklahoma, où il lancera un match parfait et un autre complet - ponctué d'une bagarre générale - pour éliminer le collège rival de Seminole.

«En 2003, les Angels étaient revenus me voir lancer dans le junior élite et à la veille des négociations, j'avais réussi 16 retraits au bâton», se souvient en riant celui qui a finalement séjourné pendant quatre ans dans les filiales des «anges».

Chaque fois qu'il regarde un match à la télévision, d'anciens coéquipiers s'y produisent, comme Howie Kendrick, Erick Aybar, Ervin Santana, Mark Trumbo, Jared Weaver, Mike Napoli et plusieurs autres. «Tu voyais tout de suite qu'ils avaient quelque chose de spécial. Ils ont livré la marchandise, mais l'organisation s'occupait d'eux, aussi.»

Mégatache
Il venait de connaître sa meilleure saison, les Angels lui octroyant même le titre de lanceur par excellence de leur réseau des filiales. Le sommet de la pyramide ne semblait plus aussi loin. «Si seulement je pouvais ajouter quelques milles à l'heure de plus à ma balle rapide», se dit à l'automne 2005 Karl Gélinas, qui venait de séjourner trois semaines au niveau AAA.

Face à son destin, Gélinas tombera du mauvais côté du monticule, convaincu que tout le monde le fait. Il s'injectera quelques doses de stanazolol, un stéroïde anabolisant synthétique dérivé de la testostérone qui vise à améliorer le travail musculaire, et de là, les performances sportives.

De retour au camp des Angels, il subira un test antidopage inopiné, certain que le produit s'est évaporé depuis les six mois séparant l'injection et le contrôle. Une semaine après le début de la saison, le verdict tombe : il a échoué à son test et écope d'une suspension de 50 matchs.

«J'étais sûr qu'il n'y avait plus rien dans mon système, j'avais fait juste la moitié d'un cycle parce que ça n'avait pas d'allure ce que j'étais en train de faire. On me l'a fait savoir trois jours avant que ça sorte publiquement. Les Angels m'ont permis d'effectuer un dernier départ au niveau AAA pour ensuite m'envoyer au camp d'entraînement prolongé, sans salaire. J'ai été le seul joueur des Angels à me faire pincer, c'est sûr que j'ai mal paru et ça faisait une mégatache à mon dossier.

Les entraîneurs m'ont appuyé, mais un peu moins la haute direction, qui l'a montré en me libérant [après la saison 2006].»

Répercussions familiales
Le joueur de 22 ans n'était pas au bout de ses peines : il devait aviser ses proches de sa situation. Comble de malheur, son père était à l'époque à l'emploi du Comité olympique canadien, un leader pour dénoncer le dopage dans le sport.

«J'ai été incapable d'appeler mes parents, je leur ai écrit un courriel. Le plus difficile, ç'a été les répercussions que cela a eu sur mon père. Moi, j'étais aux États-Unis et personne ne s'intéressait à mon cas, mais lui, il a dû affronter la tempête, répondre aux journalistes, etc. Il est allé au batte pour moi», rappelle-t-il avec émotion.

Pourtant, ce fut le silence radio entre le père et le fils pendant une dizaine de jours. Puis, sur la route menant vers l'Arizona, une conversation au téléphone a permis à Karl de s'expliquer et à Marc de mieux comprendre son geste et de l'appuyer pour la suite des choses.

«Mon petit frère a pris ça dur, lui aussi. Nous avons huit ans d'écart, et si nous sommes aujourd'hui très proches l'un de l'autre, je sais qu'il y a eu une passe où je l'écoeurais à cause de ce que j'avais fait. Il ne comprenait pas pourquoi. Si cette expérience peut l'aider à ne pas le faire, ça aura au moins servi à quelque chose...»

De retour à Saint-Jean-sur-le-Richelieu, où la famille s'est établie lors du passage du paternel à l'usine de CCM, il se voit confronté à son geste chaque jour. «Partout où j'allais, on me disait : "Eille, t'es pas dans le trouble, toi..." C'est à ce moment que je suis parti pour Québec», rappelle celui qui entreprend sa huitième saison avec les Capitales et qui dirige un centre d'entraînement de type Crossfit sur le point de prendre de l'expansion.

L'influence de Michel Laplante
Lorsqu'on l'entend résumer sa récente tentative de percer l'alignement du club-école AAA des Phillies de Philadelphie, une constatation nous vient à l'esprit : si seulement Karl Gélinas avait pu compter sur un type comme Michel Laplante...

Mais voilà, la direction des filiales de cette équipe n'avait pas la même ouverture d'esprit que l'ex-gérant des Capitales, maintenant président de la formation de la ligue Can-Am. Au lieu de lui offrir un poste de lanceur, on l'a plutôt invité à se joindre au personnel des instructeurs!

«En m'expliquant qu'il n'y avait pas de place pour moi, ni assez de temps pour me permettre de me justifier, et m'écoutant lui raconter mon histoire et mon approche, le directeur [des filiales] m'a remis sa carte en me disant qu'il recherchait des gens comme moi pour devenir instructeur des lanceurs dans leur réseau. Je me suis demandé pourquoi ne pas me donner 50 manches à la place? C'est sûr que j'aurais eu du succès», prétend le sportif de 30 ans.

Gélinas ne s'attendait pas à recevoir une deuxième chance, même s'il montrait des chiffres à l'appui. En sept saisons à Québec, il présente un dossier de 41-24 et une moyenne de points mérités de 3,13. Au camp des Phillies, les commentaires ont été élogieux à son égard, et ce, même si on a tenté de modifier son élan complet. On lui demandait d'accélérer sa mécanique, alors que son rythme fluide plus au ralenti déçoit habituellement les frappeurs.

L'Asie, une option possible
Après son rejet par les Phillies, le conseiller de Russell Martin, le receveur des Pirates, a tenté en vain de lui trouver une place quelque part, mais on affichait complet partout. Il a eu droit à un essai privé avec les Rangers du Texas par l'entremise d'Éric Gagné, vainqueur du trophée Cy Young en 2003 et ex-coéquipier de Gélinas avec les Capitales. Le dépisteur de l'équipe a tâté le pouls pour son intérêt à jouer en Asie, où les salaires sont plus élevés que dans la ligue Can-Am.

«Il m'a demandé si j'avais déjà pensé à aller au Japon ou en Corée. À long terme, ça pourrait être une option, mais pour l'instant, ce n'est pas le plan A», affirme celui qui a depuis communiqué avec Andrew Albers, l'ex-Capitales ayant lancé dans les majeures en 2013 et qui a signé un contrat de 1 million $ en Corée.

Gélinas doit une fière chandelle à Laplante pour être devenu un lanceur dominant. «Michel a eu une influence incroyable sur mon revirement de carrière. Il m'a donné confiance, m'a enseigné des choses [comme lancer une glissante] en deux jours, ce que les Angels n'ont pu faire en quatre ans. Si j'étais resté dans le baseball affilié, je n'aurais peut-être jamais atteint les majeures et j'aurais passé plus de temps dans le AA ou le AAA, mais une chose est sûre, je n'aurais sûrement pas vécu le plaisir que j'ai eu à Québec depuis sept ans», avouait celui qui se voit dans le rôle de partant pour encore quatre ou cinq saisons même s'il a flirté avec la retraite, il y a cinq ans, en raison d'un malaise au coude disparu dans les nuages du jour au lendemain.

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault

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