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Déambuler dans Dublin

Revue de presse

Mélanie Roy, La Presse, le 16 mars 2013

Dublin, Irlande

(Dublin, Irlande) Voyage en Irlande avec un parapluie, titrait le romancier Louis Gauthier. Un imperméable et des bottes de pluie ne nuiront pas non plus. Avec cet attirail, et beaucoup de bonne volonté, on finira même par trouver que ce climat instable et imprévisible, avec dominance de gris, est parfaitement accordé à l'Irlande.

Photo ci-dessus : O'Connell Street, une des rues piétonnes les plus achalandées de Dublin. En fait, elle nous rappelle, en ce dimanche de grand soleil, les Ramblas de Barcelone. (Photo Jacque Lanciault 2013-06-09)

«La température affecte-t-elle votre humeur?» demande-t-on, avec le plus grand sérieux du monde, au chauffeur de taxi dublinois qui nous amène à l'hôtel. «Pas du tout! Le mauvais temps, c'est une excuse pour s'arrêter au pub», répond-il, nous initiant du même coup à l'humour irlandais.

Non, Dublin n'est pas triste. Menue et enjouée, traversée d'est en ouest par le fleuve Liffey, la ville peut être parcourue à pied d'une extrémité à l'autre. Il semble toutefois que ses rues, dont plusieurs sont piétonnes, mènent toutes, même quand on tente d'y échapper, à Trinity College, qui en est le coeur battant. Cette université fondée en 1592 abrite notamment le Livre de Kells, manuscrit enluminé daté du IXe siècle, ainsi que la Long Room, vieille bibliothèque où sont conservés les livres rares. L'écrivain Samuel Beckett y a enseigné dans les années 30. On a l'impression que sa silhouette longiligne rôde encore quelque part dans ses couloirs...

En effet, la littérature n'est pas en reste à Dublin. Rares sont les villes qui célèbrent avec autant de fierté leur héritage littéraire: Dublin's Writer Museum, James Joyce Center, Bloom's Day, fêté le 16 juin en hommage au héros de Joyce. Au 10, rue Duke se cache par ailleurs un extraordinaire repaire de collectionneurs: Cathach Books. Cette librairie ancienne se spécialise dans la vente de premières et deuxièmes éditions, des classiques irlandais pour la plupart. Exemple parmi d'autres: on peut y admirer, derrière une vitrine fermée à clé, la première édition imprimée et publiée à Londres (1936) d'Ulysse, numérotée et signée de la main de James Joyce. L'objet, en parfaite condition, n'est pas accessible à toutes les bourses: 35 000 euros.

On est là tout près de la rue Grafton, principale artère commerçante de la capitale, dans un quartier central appelé aussi, plus prosaïquement, Dublin 2 (une référence à son code postal). Le petit labyrinthe de rues pavées qui la biseautent à gauche et à droite regorge d'adresses gourmandes. Un premier passage obligé: Sheridans Cheesemongers, rue South Anne. Cette minuscule échoppe de fromages, que l'on reconnaît... à l'odeur, est la seule à Dublin. L'essor des fromageries artisanales irlandaises, situées principalement dans le comté de Cork, est un phénomène encore récent, explique le gérant, John LeVerrier. Mais ils acquièrent tranquillement un savoir-faire, typique des pays du Nord, bien à eux: lait de brebis, gouda, cheddar, tommes de chèvre, pâtes lavées. M. LeVerrier conseille de les goûter avec un soda bread d'Avoca, rue Suffolk.

Deuxième arrêt: Fallon&Byrne, rue Exchequer. La réplique irlandaise de Dean&Deluca, à Manhattan, qui s'étend sur trois niveaux: une cave à vin au sous-sol, une épicerie fine au rez-de-chaussée et un chic café à l'étage, où l'on sert de savoureux plats de saison sur fond de musique classique, nappes blanches et noeud papillon, à de très bons prix.

En prenant la rue South Great George vers le sud, on s'arrête ensuite le temps de boire une pinte de Guinness bien versée (donc lentement, en deux étapes), dans un pub «héritage», le Long Hall, inchangé depuis 1881, qui tranche avec la clameur de Temple Bar et de ses violons celtiques. La patine des années fait toute la beauté de cette institution victorienne, à l'allure un peu démodée qui en fait tout le cachet: bois sculpté, comptoir en chêne foncé, vieux lustres de cristal, cloisons ornées de vitraux et de miroirs.

Enfin, si vos pas vous mènent jusqu'à la cathédrale Saint-Patrick et le château de Dublin, il faut descendre du côté de The Liberties (Dublin 8), le quartier qui s'anime derrière, à peine excentré, mais tout de même en dehors des sentiers battus. Dans cet ancien secteur ouvrier plus ou moins recommandable fondé à l'époque médiévale, les rues sont étroites et les maisons, basses sur pattes. Mais cette portion de la ville connaît aujourd'hui une grande vitalité, peut-être encore trop récente pour être mentionnée dans les guides de voyage. C'est encore le Dublin du quotidien, des locaux.

Le Cake Cafe et son jardin-cour-terrasse, par exemple, sont nichés, bien à l'abri des passants, dans une ruelle (Pleasants Place) parallèle à la rue Camden. Pas un touriste en vue. Là-bas, on a droit au plus décadent des afternoon teas, accompagné de miniatures, à savoir de jolies assiettes de porcelaine anglaise dépareillées dans lesquelles on trouve tous les gâteaux au menu, en petites portions: Victoria's Sponge Cake, gâteau polenta-citron, cake aux épices. Un conseil: en Irlande, il faut toujours se garder de la place pour le dessert.

Dans le même esprit, à quelques centaines de mètres, on trouve The Fumbally. Ce café est sis dans un vaste local photogénique, lumineux et un peu bric-à-brac, aux murs décorés de céramique, d'illustrations et de photos disparates, placé sous l'égide de Sancho Panza, l'antihéros de Cervantès, dont les sages paroles couronnent l'entrée et donnent le ton («All sorrows are less with bread*»). Au menu: des plats métissés et épicés, aux accents moyen-orientaux, cuisinés avec les meilleurs ingrédients locaux et préparés sous nos yeux.

Et pour vivre un tout autre dépaysement, rendez-vous enfin chez John Fallon, à un coin de rue. Le pub typique, en voie de disparition. Un vieux bar usé par des générations d'habitués, rongé par les années; des tabourets recouverts de velours; une odeur, prégnante, mais pas insoutenable, de renfermé. Des murs jaunis, qui racontent leur histoire à coups de cernes laissés par la fumée des cigarettes, de trophées et de victoires sportives passées, de slogans Guinness, de reliques et de vieilles bouteilles.

Si vous avez encore de l'appétit, installez-vous au comptoir et commandez à Seamus un ham and cheese, qu'il vous servira grillé si vous le lui demandez, et si vous consentez à payer les 30 centimes d'extra. Vous dégusterez lentement le sandwich, tout juste sorti du four en métal, qui arrivera brûlant, quelques minutes plus tard, à peu près en même temps que votre boisson, une bière ou un thé noir - du Barry's, comme partout en Irlande. On aura oublié au fond de la tasse un peu de savon à vaisselle, la boisson chaude aura donc un arrière-goût de détergent et formera des petites bulles à la surface.

Vous le remarquerez à peine. Demain, vous partirez pour Cork, ou plus probablement pour Galway, pour les falaises de Moher, le Connemara ou la Chaussée des Géants. Mais pour l'instant, vous aurez le drôle de sentiment que rien, en ce pays, ne saurait être plus spectaculaire.
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* «Avec du pain tous les maux sont vains.»
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D'autres adresses, en vrac

Hatch and Son's, 15, rue Saint-Stephen's Green
Un minuscule café ouvert de jour seulement, à l'heure du déjeuner et du dîner. Du genre qu'on se félicite d'avoir trouvé par hasard, ainsi caché en dessous du Little Museum of Dublin, qui borde le parc Saint-Stephen. Une cuisine irlandaise, qui sert un beef and Guinness stew fumant dans les règles de l'art, mais à des lieues de l'imagerie populaire. Les planchettes de fromage, de charcuteries, de poissons fumés ou mixtes sont la meilleure introduction aux «produits» du terroir irlandais. Elles sont servies avec des chutneys, des pickles et des tranches de brown soda bread (augmenté d'avoine, celui-là) qui se mangent comme un gâteau. Un délice. Tiens, parlant de gâteaux, la table à desserts, avec ses jolis présentoirs, cake stands et cloches de verre, vous permettra (pour la énième fois) de renouer avec votre dent sucrée.

Brother Hubbard, 153, rue Capel
Une découverte de dernière minute, sur la rive nord qu'on a un peu négligée. Un accent méditerrano-irlandais. Salade de brocoli, ail et chili, rémoulade de céleri-rave, betterave et citron, couscous à la courge musquée, au fenouil et à la menthe, sandwich boeuf-raifort ou à l'artichaut. Tout est frais, cuisiné maison et déposé élégamment sur le comptoir dans de grandes assiettes profondes en terre cuite. La particularité de ce café indépendant est aussi qu'il ne possède pas... de réfrigérateurs. Tout est donc servi à la température de la pièce, le jour même et jusqu'à épuisement des stocks. Si vous passez en fin de journée, à l'heure de la fermeture, il y a donc de bonnes chances qu'au moment de payer, à la caisse, on vous offre la (meilleure) brioche cannelle et noix (de votre vie), en prévision du petit-déjeuner du lendemain.

The Celtic Whiskey Shop, 27-28, rue Dawson
Parce que l'Irlande est aussi un très grand producteur de whiskey (avec un e, contrairement au whisky écossais) et que ce liquoriste spécialisé en offre la sélection la plus complète, pour tous les goûts et budgets.

Les portes de Dublin
Dublin est aussi une ville verte, jonchée de squares, de parcs et de jardins. Autour de Saint-Stephen's Green, de Merrion Square et de Fitzwilliam Square s'élèvent les maisons les plus cossues, caractéristiques de l'architecture georgienne (XVIIIe et XIXe siècles). À la longue, ces demeures sont devenues l'emblème de Dublin. Leur particularité: des portes peintes de couleurs vives et dépareillées, surmontées d'impostes en éventail et serties de poignées et de heurtoirs en laiton. Les mauvaises langues diront que les propriétaires ont adopté ce système de couleurs dans le but de bien différencier les maisons les unes des autres, évitant ainsi la confusion les soirs où ils rentraient tard et légèrement éméchés... Cette hypothèse n'est pas tellement loin de la vérité. Mais l'histoire veut plutôt que les résidants aient répondu aux lois strictes régissant les devantures uniformes de ces maisons historiques en ajoutant leur touche de couleur aux portes. Certaines portes sont aujourd'hui recouvertes de toiles de tissu rayé, les jours de soleil plombant, afin de protéger les teintes des rayons ultraviolets et d'en conserver l'éclat. Il faut donc être très chanceux pour les apercevoir, mais cette «chasse aux portes» est un bien joli prétexte pour zigzaguer dans la ville, sans destination précise...

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.

Remplis sous: Irlande, Voyages Mots clés:
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