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Istrie – La Vénétie slave

Revue de presse

Gary Lawrence, collaborateur au quotidien Le Devoir, le 14 novembre 2009

L’amphithéâtre romain de Pula, Croatie.

NDLR - Lors de la préparation de notre voyage « Splendeurs de la côte Adriatique » nous avions déniché un texte paru en novembre 2009 dans le quotidien, « Le Devoir ». Gary Lawrence y faisait l’éloge de l’Istrie, notamment des trois villes que nous avons visitées en octobre 2011, Porec, Rovinj et Pula.

Voici son texte, c’est à lire!

Istrie - La Vénétie slave

En Istrie, «Hum» n'est pas tant le bruit qu'on fait en se raclant la gorge qu'une référence à la «plus petite ville du monde». En revanche, «Wow!» est bel et bien une interjection qu'on prononce à tout bout de champ quand on sillonne cette splendide péninsule du nord-ouest de la Croatie.

Photo ci-dessus : L'amphithéâtre romain de Pula. (Photo Jacques Lanciault)

Rovinj — Plutôt deux fois qu'une, je crois bien avoir investi chaque ruelle, foulé du pied chaque venelle, traversé chaque placette et franchi chacun des passages voûtés de Rovinj. J'ai dû tout autant scruter les interstices du moindre mur lézardé, humer le linge humide accroché à chaque fenêtre, chercher chaque lion de saint Marc sous chaque arcade et m'imprégner de toutes les phéromones italiennes qui flottent dans l'air de cette tourneboulante petite cité du centre de l'Istrie.

Sorte de croisement improbable entre le mont Saint-Michel sans ses badauds et Venise sans ses canaux, Rovinj frappe, happe, capte dès lors qu'on pose le pied sur ses gros pavés de calcaire patinés par 17 siècles de semelles. Construite sur une presqu'île qui s'élève face à l'Adriatique, sa vieille ville est un délicieux embrouillamini d'artères qui s'entortillent, se recoupent et s'enlacent sans qu'on s'en lasse, jusqu'au sommet où trône un campanile tout droit sorti de la Cité des Doges. Pourtant, nous sommes bel et bien en Croatie, ex-république yougoslave qui s'est affranchie de Belgrade en 1991.

Si Rovinj fleure si bon les humeurs vénitiennes, c'est parce qu'elle fut sous l'emprise, pendant près de 500 ans, de la Sérénissime. Entre le XIIIe et le XVIIIe siècle, la République de Venise a en effet régné sur le nord de l'Italie actuelle ainsi que sur le littoral oriental de la mer Adriatique, dont fait partie l'Istrie. Aujourd'hui, cette péninsule en forme de coeur est partagée entre l'Italie (un tout petit peu, autour de Trieste), la Slovénie (un peu plus, avec 42 kilomètres de côtes) et surtout la Croatie (qui couvre plus de 90 % de l'Istrie).

Encore de nos jours, l'empreinte de Venise se fait sentir ailleurs le long de la côte Adriatique, dans ces localités que sont Vrsar, Vodjnan, Novigrad ou, dans une moindre mesure, Sveti Lovrec Pazenaticki. Même à Porec, dévastée par les Génois en 1354, on sent de vagues relents vénitiens quand on déambule sous les anciens palais Renaissance. Mais ce qu'on retient surtout de cette ville, ce sont les éblouissantes mosaïques byzantines de la basilique Euphrasienne, église paléochrétienne accusant 15 siècles et qui brille au patrimoine mondial de l'UNESCO.

Outre la cité-État de Venise, il faut savoir qu'à peu près tout ce qui a grouillé ou grenouillé en Méditerranée a fini par traverser l'Istrie à un moment ou l'autre de son histoire: Byzance, les Celtes, les Grecs, les Habsbourg et Napoléon ont dominé cette région, qui est aujourd'hui nettement slave malgré de forts accents méditerranéens. Cela dit, c'est surtout le passage des Romains qu'on retient encore de nos jours, à Pula.

L'esprit de Rome
Du haut de la forteresse vénitienne du XVIe siècle, juchée au sommet du point culminant de Pula, on tombe sous le choc en apercevant les murs admirablement bien préservés de l'amphithéâtre romain qui se dessine au loin.

Moins vaste que celui de Rome, cet amfiteatar pouvait tout de même contenir 24 000 spectateurs dans l'Antiquité. Tous les étés, il continue d'accueillir un public restreint lors d'un festival du film en plein air, en juillet, et des concerts de musique classique, en juillet et en août.

Au centre de la vieille ville, l'âme romaine flotte au-dessus du forum, qui continue d'être l'un des épicentres de la vie sociale de Pula grâce aux nombreuses terrasses des cafés qui se déploient non loin du temple d'Auguste, deux fois millénaire. Mais le café Ulysse, que fréquentait James Joyce quand il enseignait l'anglais à Pula, jouxte plutôt l'arc de triomphe des Serge — une famille patricienne qui n'a rien à voir avec les buveurs de Molson Ex.

Tout comme Thomas Mann et d'autres hommes de plume, Joyce séjournait régulièrement sur Veli Brijun, l'une des 14 îles de l'archipel des Brijuni, au large de Fazana, non loin de Pula. Totalement rasées par les Vénitiens, puis reboisées au XIXe siècle par un industriel autrichien, les Brijuni sont devenues un haut lieu de la villégiature autrichienne, à la Belle Époque.

Dans les années 40, quand il accéda au pouvoir, le maréchal Tito s'y fit construire une résidence secondaire où il accueillait stars et grands de ce monde, de Sophia Loren à Ho Chi Minh en passant par Brejnev et Haïlé Sélassié.

Pour agrémenter le jardin zoologique du fondateur de la Seconde Yougoslavie, certains invités lui offraient un présent animalier: Nehru, un zébu; Elizabeth II, une autruche; Indira Gandhi, deux éléphants, qui y résident toujours. Après la mort de Tito en 1980, l'archipel est devenu un parc national et seule Veli Brijun est aujourd'hui accessible au public.

Un peu de Piémont et de Toscane
En Istrie, on a beau multiplier les références à la Vénétie, ce sont d'autres régions italiennes qui viennent à l'esprit à mesure qu'on s'enfonce vers l'intérieur de la péninsule.

Parsemée de petites routes étroites généralement en bon état — ce qui laisse supposer que la Camorra ne s'est pas rendue jusqu'ici —, l'Istrie intérieure évoque plus souvent qu'autrement le Piémont et la Toscane, avec ces villes et villages fortifiés qui couvrent le sommet d'autant de collines, construits pour la plupart sur les vestiges de cités érigées par les Histres, ce peuple du néolithique qui a donné son nom à la région.

À Groznjan, les remparts médiévaux cachent bien le jeu des menues ruelles labyrinthiques jalonnées d'échoppes d'artistes, de galeries d'art et de studios d'écrivains: cette ville, c'est un peu Saint-Paul-de-Vence sans les hordes de visiteurs et les vendeurs de trucmuches à touristes.

À Motovun, le tour de garde des remparts qui ceinturent cette géniale ville fortifiée permet d'embrasser toute la région, ce que recherchaient ceux qui ont érigé pareil nid d'aigle, à 270 mètres au-dessus de la plaine. Aujourd'hui, au lieu de voir l'ennemi se poindre, on aperçoit surtout quantité de vignobles et de champs d'oliviers qui s'étalent à perte de vue: déjà à l'époque de Rome, l'Istrie approvisionnait la «plus prodigieuse cité de l'univers» en vins et en huile d'olive.

Du haut du promontoire de Motovun, on n'aperçoit cependant pas les milliers de truffes qui reposent au pied des chênes et des hêtres, et qui n'attendent qu'un fin groin pour être débusquées, en contrebas. Chaque automne, des contingents de Croates partent ainsi dans les sous-bois, chien en laisse, à la recherche du précieux tubercule souterrain qui abonde entre Buzet et Livade. Et chaque automne, ils déterrent ainsi jusqu'à six tonnes de truffes, dont 90 % de blanches, les plus fines qui soient.

En 1999, c'est non loin de Livade qu'un certain Giancarlo Zigante a d'ailleurs découvert la plus grosse truffe blanche du monde (1,31 kilo, environ la taille d'un cerveau humain). Depuis, cet homme de flair est devenu homme d'affaires et il a fait fortune en déclinant sous toutes ses formes ce mets d'une grande finesse, en inaugurant plusieurs tables où il met à l'honneur ce «diamant de la cuisine», dixit Brillat-Savarin.

En fait, tout bien réfléchi, l'Istrie est à l'image de la truffe: délicate, raffinée et recherchée, elle surprend et satisfait au terme d'un minimum d'efforts. Et si elle ne saute pas aux yeux de prime abord, elle crée l'euphorie chez quiconque se donne la peine de s'y intéresser.

* * *

En vrac
-Air France relie Montréal à Ljubljana (en Slovénie, à une heure de route de l'Istrie croate), plusieurs fois par semaine. www.airfrance.ca.

-L'Istrie est baignée de soleil la majeure partie de l'année, mais elle se visite idéalement de mai à octobre. À partir de novembre, on risque d'avoir droit à quelques crachins et d'être confronté à des villes fantômes — ce qui a ses avantages pour visiter en toute quiétude. Juillet, août et même septembre sont à éviter pour cause de surfréquentation touristique.

-Si le coût de la vie a récemment augmenté en Istrie, il demeure plus abordable que celui de l'Italie. La Croatie ne fait pas (encore) partie de l'Union européenne, et encore moins de la zone euro.

-Avec ou sans truffes, la gastronomie istrienne est la plus réputée de Croatie. Le tubercule est cependant offert partout, y compris à prix d'ami dans de petits restos sans prétention qui servent des plats aussi roboratifs que copieusement parsemés de copeaux de truffes, saupoudrés à la râpe, pour environ 20 $.

-Pour se loger, deux bonnes adresses: la Casa Romantica La Parenzana, à Buje (www.parenzana.com.hr), est un bon point de chute pour rayonner et visiter l'intérieur de l'Istrie, ses vignobles et ses villes médiévales haut perchées. À Rovinj, l'hôtel Adriatic (www.maistra.hr) est extrêmement bien situé à l'entrée de la vieille ville et droit en face de la marina.

-Entre autres guides, Lonely Planet (www.lonelyplanet.com), le Guide du routard (www.routard.fr) et surtout Géo (www.geoguides.com) publient des guides fort complets sur la Croatie et l'Istrie.

-Renseignements: www.istra.hr. Pour d'autres photos de l'Istrie, consultez aussi mon blogue à www.lactualite.com/blogue-voyage.

-L'auteur était l'invité d'Air France et de l'Office de tourisme d'Istrie.

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.

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