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Août/07
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Revue de presse : Art contemporain – Lisbonne s’offre un musée en PPP

Le Devoir, et le Monde, édition du jeudi 2 août 2007

Lisbonne -- Le Musée Berardo a été inauguré le lundi 25 juin à Belem, un quartier de Lisbonne situé le long du Tage. Abrité dans un bâtiment de 12 000 m2 construit en 1993 pour servir de centre d'art contemporain, il recèle une collection privée, celle du milliardaire Joe Berardo. Huit cent soixante-deux oeuvres, allant d'une toile cubiste de Picasso jusqu'aux artistes les plus contemporains, évaluées par Christie's à 316 millions d'euros.

C'est sur cette base que le gouvernement portugais a conclu un accord avec le propriétaire: durant dix ans, l'État prend en charge le bâtiment et son fonctionnement, contre le dépôt des oeuvres, avec une option d'achat qui sera levée, ou non, en avril 2016. Un musée en PPP (crédit-bail), en quelque sorte.

À la collection initiale s'ajoutent les oeuvres contemporaines que le ministère de la Culture avait commencé à acquérir depuis quelques années, celles que Berardo continue d'acheter, plus un budget d'acquisitions annuel d'un million d'euros, partagé moitié-moitié entre l'État et le collectionneur. Un montage complexe mais qui dote Lisbonne de son premier musée d'art moderne et contemporain à relativement peu de frais.

Le musée est dirigé par le Français Jean-François Chougnet, ancien directeur de l'établissement public de La Villette. Il a fait appel à l'artiste Éric Corne, fondateur du centre d'art Le Plateau, à Paris, pour concevoir l'exposition inaugurale. Elle se tient sur trois étages du musée, accrochage surprenant, subtil et bien aéré d'environ un tiers de la collection, certaines oeuvres ayant été acquises pour l'occasion afin de renforcer la cohérence de l'ensemble.

L'exposition est précédée, à l'extérieur du musée et dans son hall d'entrée, de deux oeuvres qui symbolisent, peu ou prou, le maître des lieux: un porte-bouteilles et des cris d'oiseaux. Les bouteilles, assemblées en deux sculptures monumentales, oeuvre de la Portugaise Joana Vasconcelos, peuvent être prises pour un hommage à une des passions du fondateur, qui possède quelques vignobles. Les bruits de volatiles, mur sonore du Britannique William Furlong qui salue l'entrée du visiteur, sont un autre clin d'oeil à ce drôle d'oiseau.

Car c'est un sacré numéro que ce Joe Berardo: né en 1944 à Madère, il quitte son île à 18 ans pour faire fortune en Afrique du Sud. Et il collectionne déjà: «Quand j'étais petit, explique-t-il, j'étais pauvre. Alors je collectionnais les timbres ou les boîtes d'allumettes... » Rapidement, il accumule aussi les entreprises: d'horticulture tout d'abord (il restaurera plus tard Monte Palace, un parc d'essences rares à Madère), de mines d'or et de diamants ensuite (ce qui vaut aux habitants de son île natale un second musée, de gemmologie celui-là). Avant de se tourner vers la banque et les industries de service. Aujourd'hui, sa holding,

Metalgest, pèserait près de deux milliards d'euros.

«J'aurais pu collectionner les avions ou les bateaux, mais je préfère les tableaux. La culture, c'est le point commun de tous les hommes. Ceux d'aujourd'hui comme les premiers: il y a 35 000 ans, on peignait déjà dans les cavernes.» Il commence vraiment sa collection en 1994, au plus fort de la crise du marché de l'art. Et, conseillé par un ami collectionneur, Francisco Capelo, achète en gros. «Je ne suis pas un expert, je prends donc des avis. Mais ce qui m'importe, c'est de préserver et de rassembler. Rassembler, c'est donner du sens.»

Accent de paysan
Tout de suite, Berardo, qui reconnaît ne pas vivre au milieu de ses oeuvres, envisage de les montrer au public. Les négociations commencent avec l'État portugais. Puis s'enlisent: avec son accent de paysan de Madère, ses foucades (après avoir pris, le 20 juin, la majorité du capital du club de foot fétiche du pays, le Benfica de Lisbonne, il a provoqué un tollé en le qualifiant de «club de troisième âge») et sa fortune toute fraîche, il déplaît à la bonne société lisboète. Agacé, le milliardaire menace de délocaliser sa collection en France, sur l'île Séguin, que le départ de François Pinault rend vacante. Ou à Toulouse, comme le lui proposent des représentants du gouvernement français. Le choc est immense au Portugal, et l'accord est trouvé.

Mais Joe Berardo ne s'intéresse pas qu'à l'art contemporain. À Madère, il a aussi un lieu réservé aux artistes du Zimbabwe. À Sintra, où étaient jusqu'à présent basées ses oeuvres modernes, il présente sa collection d'objets art déco. Il possède aussi des affiches publicitaires et un remarquable ensemble d'azulejos, les fameux carrelages portugais. Il est enfin un des plus grands collectionneurs au monde de pots de chambre victoriens et edwardiens. Au journaliste, goguenard, qui l'interroge sur cette passion pour les vases de nuit, il réplique: «Vous trouvez ça drôle? Moi aussi! Et quand je pense à toutes les fesses qu'ils ont contemplées... »

Remplis sous: Nouvelles, Portugal, Voyages Mots clés:
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