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Revue de presse : L’Espagne devrait-elle changer ses horaires atypiques ?

À l'heure de la conciliation travail-famille

Lortie, Marie-Claude, La Presse, Actuel Famille, lundi, 2 avril 2007

Vous pensez qu'il est difficile de concilier travail et famille ? Imaginez si vous habitiez dans un pays où le lunch a lieu vers 15 h, le retour du travail vers 20h et le souper à 22h30... Pourtant, c'est exactement ce qui se passe en Espagne, où la société se demande, maintenant qu'une grande proportion de mères travaillent à l'extérieur de la maison, si la vie de famille est compatible avec ces horaires bien particuliers. Visite dans un autre fuseau horaire.

MADRID - Mar, Madrilène dans la trentaine, belle comme un personnage d'un film d'Almodovar, est cadre dans une grande publication espagnole. Elle a deux enfants, un job exigeant, parle à toute vitesse. Et si elle le pouvait, elle ferait un grand ménage dans les horaires de son pays. " La sieste, c'est un mythe, lancet-elle. Ces horaires ne tiennent plus. C'est un truc très masculin, pour les hommes d'affaires qui veulent prendre de longs repas ensemble et qui ne se préoccupent pas de l'heure du retour à la maison. Et mon horaire n'est pas le pire. Je réussis quand même à sortir d'ici à 19h! "

Tôt, 19h ?

En Espagne, dans les villes, il n'est pas rare que les travailleurs terminent leur journée à 20h, 21h... Le souper n'est pas avant 22h30, de toute façon. Et personne ne se couche guère avant minuit, voire 1h. Et on ne parle pas de ceux qui sortent prendre un verre et danser et qui terminent leur soirée à 6h, par un chocolate con churros ...

Les Espagnols ne s'entendent pas sur l'explication historique de cette façon si typique de structurer la journée. Certains parlent notamment du climat très chaud, qui encourage la prise d'une longue pause au milieu du jour. D'autres mentionnent le caractère latin de ce peuple amoureux de sa siesta...

Une des explications les plus couramment invoquées, explique l'économiste Ignacio Buqueras, une des figures de proue du mouvement qui veut " rationaliser " ces horaires, est de nature économique. Il parle d'un changement plutôt récent, ancré dans les difficultés économiques des années 30 et de la guerre civile qui ont mené bien des Espagnols à occuper deux emplois : un qui commençait tôt et finissait en après-midi et un autre en soirée. C'est ainsi que bien des gens auraient pris l'habitude de prendre le principal repas de la journée à 15h, afin de prendre un léger repos, pour retourner travailler et souper ensuite à l'heure où bien d'autres Européens et Nord-Américains vont faire dodo.

Sauf que le franquisme est terminé depuis belle lurette et que l'Espagne est maintenant un pays moderne et démocratique. Les femmes ont intégré en masse le marché du travail et les familles vivent dans des banlieues, loin du bureau. Il est donc de moins en moins courant, dans les villes à tout le moins, de rentrer à la maison pour manger et se reposer un peu.

" Il serait donc plus logique que l'on prenne une pause plus courte, pour rentrer à la maison plus tôt ", dit la journaliste Mar. Opinion que partage largement M. Buqueras, qui s'est fait le pilote d'une " commission " nationale pro-rationalisation des horaires, où l'on trouve notamment des chercheurs de l'IESE, une école de gestion fondée et financée par l'Opus Dei.

Productivité et procrastination
Le mouvement pro-réforme appuie ses arguments sur deux problèmes, un qui met en cause la famille et l'autre l'économie.

D'abord, disent-ils, avec les horaires actuels, il est extrêmement difficile de valoriser la vie de famille puisqu'il est presque impossible pour les parents de passer beaucoup de temps avec les enfants, durant la semaine.

Et ensuite, ajoute M. Buqueras, la quantité de temps passée au travail n'est pas synonyme de productivité puisqu'il y a un gros trou de temps perdu au milieu de la journée. Les statistiques compilées par la Fundaciòn montrent d'ailleurs que les Espagnols dorment en moyenne 40 minutes de moins que les autres Européens. Et une autre recherche du Circulo de Empresarios, une sorte de Conseil du patronat de Madrid, affirme que les Espagnols utilisent jusqu'à 40 % de leur temps au travail de façon inefficace.

Donc, on a beau être au boulot longtemps, on ne travaille pas nécessairement plus.

Fini la sieste des fonctionnaires
Poussé notamment par le groupe de M. Buqueras, le gouvernement a décidé de faire certains changements en janvier 2006. Il a instauré le plan Concilia, qui permet aux employés d'adopter un nouvel horaire, comprenant une pause lunch d'une heure seulement et un départ pas plus tard que 18h.

Madrid espère ainsi se faire un modèle pour le secteur privé. Mais les syndicats ont des réserves, explique Rita Moreno, responsable du secrétariat des femmes à la centrale syndicale Comisiones Obreras. Celle-ci, d'ailleurs, n'est pas du tout sur la même longueur d'onde que le groupe de Buqueras et s'interroge sur ses liens avec l'Opus Dei, une organisation ultracatholique.

" On veut bien des changements, mais encore faut-il que les travailleurs les demandent ", affirme Mme Moreno. Et les questions sur la faisabilité d'une réforme sont encore nombreuses, dit-elle. " Nos syndiqués se demandent, par exemple, comment ça peut fonctionner si les autres horaires ne changent pas en même temps. "

Actuellement, par exemple, les garderies espagnoles peuvent très bien n'ouvrir qu'à 9h30 " L'élément réellement important pour le changement, ajoute Mme Moreno, demeure essentiellement la flexibilité. "

On aime notre siesta
Mais la société résiste aussi à l'idée même de changer une caractéristique typique de la culture espagnole.

" Pourquoi je suis contre l'horaire européen ? Parce que je suis Espagnole ! Notre style de vie est important. Les Espagnols sont différents ", lance Pilar Grosso, journaliste de mode pour la revue XL Semanal. " Si nous changeons nos horaires, nous allons devoir changer notre façon de voir la vie. " Selon elle, toute la vie espagnole est construite autour de cette douce nonchalance qui permet de dormir tard, travailler tard, manger tard et s'amuser jusque tard dans la nuit.

" Travailler de 9 h à 17h ? Mon Dieu ! Quelle horreur! "

José Marìa Rubio, chauffeur de taxi, croit lui aussi que l'horaire traditionnel est ancré trop profondément pour être délogé. " Beaucoup de choses changent en Espagne, souvent pour le mieux. Et je comprends les femmes de vouloir arriver plus tôt à lamaison. Mais ça, c'est une utopie. Surtout que la sieste, c'est divin! "

MÉTRO-BOULOT-DODO

VOICI L'HORAIRE TYPIQUE DE QUATRE PAYS EUROPÉENS

Espagne
9h Lever, toilette, petit-déjeuner (un café avec du lait)
10h Arrivée au travail
11h ou 11h30 Pause café avec sandwich ou tapas, à l'extérieur du bureau
14h Arrêt de deux heures pour un repas copieux, le plus important de la journée, à la maison ou au restaurant.
16h Retour au travail
20h ou même 21h fin de la journée de travail
22h30 Souper plus léger que le repas du midi, souvent pris au café du quartier.
12h30 ou 1h Dodo

France
7h Lever et petit-déjeuner (café au lait, pain)
9h Arrivée au travail
10h30 ou 11h Pause café
12h o u13h Repas du midi, trois services, avec un peu de vin, à la maison ou au restaurant
14h ou 15h Retour au travail
Entre 18h et 19h30 Fin de la journée de travail. Courses pour le repas du soir
20h Souper
23h Dodo

Royaume-Uni
6h Lever et petit-déjeuner copieux
7h30 Arrivée au travail
Pas de pause en matinée
12h Pause d'une demi-heure pour le lunch, que l'on mange sur place, au travail
Pas de pause d'après-midi
17h ou 18h Fin de la journée de travail. Traditionnellement, on ne fait pas les courses le soir même pour le souper
19h Souper
23h Dodo

Allemagne
6h30 Lever et petit-déjeuner avec pain, jambon, oeufs
8h Arrivée au travail
10h Pause et collation
12h Lunch rapide, au bureau ou au café
12h30 Retour au travail
17h Fin de la journée de travail
19h Souper
22h Dodo

Remplis sous: Espagne Mots clés:
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  1. Bonjour je suis espagnole et mes journées vont de 7h30 du matin à 10.30 du soir. Vous connaissez l’Espagne? vers 8h du matin tout le monde, costume et tailleur va au traval, c’est vari que les magasins ouvrent vers 10.00, nous on dort moins mais on arrive à la même heure que nos collègues européens à notre poste de travail. Nos journées s’élargisssent (dìner à 20h c’est trop tôt), je voudrais bine, moi suivre le rythme européen.

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