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Le véritable syndrome de Stockholm

Revue de presse

Gary Lawrence, Le Devoir, le 24 septembre 2006

Stortorget, Stockholm, Suède

Moins festive que Copenhague mais bien plus suave qu'Oslo, Stockholm demeure sans conteste la plus jolie capitale scandinave et l'une des plus gracieuses cités du globe. En fait, elle est dotée d'une esthétique si superbe qu'elle a tôt fait de prendre en otage le coeur de tous ceux qui s'y risquent. Attention, beauté fatale.

«Tout le monde à plat ventre! Que la fête commence!» C'est en ces termes que, le 23 août 1973, un évadé de prison armé d'une carabine semi-automatique fait irruption dans la Kreditbanken de Stockholm. Après avoir pris quatre personnes en otage, il exige et obtient la libération de son compagnon de cellule, qui le rejoint bientôt.

Quatre jours de siège plus tard, la police réussit finalement à évacuer tout le monde sans heurt, mais les Stockholmois sont alors abasourdis d'apprendre qu'entre-temps, les otages avaient sympathisé avec leurs ravisseurs. Pire: ceux-ci prennent désormais fait et cause pour eux. L'expression «syndrome de Stockholm» est née et elle fera subséquemment d'autres victimes: Patty Hearst, Natascha Kampusch et... le soussigné.

Photo ci-dessus : Une place superbe au coeur de la vieille ville de Stockholm, Stortorget! (Photo : Jacques Lanciault, 2018)

Avant d'arriver à Stockholm, je n'avais aucune attente. Mais jamais je n'aurais imaginé que cette cité était aussi enlevante, qu'elle m'aurait autant... ravi. Était-ce la lumière basse de septembre, modulée par ces boréales latitudes? Les impeccables enfilades de façades qui me faisaient battre la chamade? Ou ces sylphides urbaines aux blondes nattes et aux yeux d'un bleu baltique, qui défiaient élégamment les pavés des enivrants quartiers de la vieille ville, du haut de leurs longues bottes de cuir? Quoi qu'il en soit, dès que j'ai commencé à l'investir, j'ai été happé, sonné, irradié par le rayonnement nordique de la capitale suédoise.

Protégée par une constellation de 24 000 îles et îlots, Stockholm est d'abord fort bien proportionnée: un tiers d'espaces verts, un tiers de plans d'eau — elle est construite sur 14 îles — et un tiers de patrimoine bâti, ce qui fait de cette ville-archipel un lieu éminemment agréable à arpenter rien que pour le plaisir de faire le plein des sens.

Du haut du promontoire de Monteliusvägen, on voit bien que Stockholm fleure bon l'équilibre, elle qui est irriguée de toutes parts par des eaux baignables, une rareté pour une cité de 1,5 million d'âmes. Ici, la mer s'infiltre partout et tempère le décor ambiant tout en adoucissant les humeurs des citadins et des promeneurs. Ne sommes-nous pas faits d'eau à 70 %?

Puis, d'un point de vue strictement architectural, Stockholm, c'est le pactole. Hormis Norrmalm, le centre-vide moderne construit à-la-va-comme-je-te-pousse dans les années 60, les quartiers historiques ont été épargnés par les bombardements des deux grandes guerres, neutralité suédoise oblige.

Aujourd'hui, Stockholm dispose d'un des ensembles bâtis les plus complets et les mieux préservés d'Europe, dont un fabuleux quartier médiéval, Gamla Stan, qui remonte à la fondation de la ville (1282) et qui est serti de pierres runiques tout droit sorties de l'ère viking.

Du reste, Stockholm ne brusque pas les tympans, comme si les klaxons avaient été retirés des voitures. Même à l'aéroport Arlanda, les messages sonores sont supprimés pour ne pas troubler la quiétude (!) des lieux. La ville dispose d'ailleurs de toute une conscience sociale: les bus sont gratos pour les femmes accompagnées de leur enfant et l'accès est libre dans de nombreux établissements muséaux. C'est le cas de certains grands musées nationaux, comme l'épatant Moderna Museet (musée d'art moderne), où trônent plusieurs sculptures de Niki de Saint-Phalle et de Jean Tinguely, présentées pour la première fois à Expo 67.

Toujours dans le registre du civisme urbain, certains quartiers de Stockholm sont striés de nombreuses avenues aérées qui comptent trois niveaux légèrement décalés: le trottoir, la piste cyclable et le bitume, où circulent de moins en moins de voitures. Car dans cette ville sillonnée par de nombreux vélomanes, on a récemment instauré le péage obligatoire pour les véhicules qui veulent accéder au centre, une expérience-pilote de six mois qui s'est avérée concluante et qui pourrait bientôt devenir permanente.

Enfin, le métro brille autant par efficacité que par singularité, 90 % des stations étant aménagées avec un souci évident d'originalité, de bon goût ou d'excentricité, formant du coup la «plus longue galerie d'art au monde». Eh! Ce n'est pas d'hier que la Suède, et Stockholm en particulier, accuse un lourd penchant pour tout ce qui touche de près ou de loin au design.

Design-moi une ville
Si, par une frisquette matinée, un passant pose les mains sur la statue de l'actrice Margaretha Krook, qui trône dans l'angle du splendide immeuble Art nouveau du Kungliga Dramastika Teatern, il ne faut pas y voir une marque de référence. En fait, ce geste n'a rien de rituel mais tout de fonctionnel: derrière le métal coulent des filets d'eau chaude dans ce qui forme sans doute la seule statue-radiateur au monde, conçue pour réchauffer les menottes des piétons transis. Pas de doute, nous sommes bien à Stockholm, ville pétrie de design.

Qu'on pousse la porte d'un hôtel guindé du quartier d'Östermalm, qu'on se soulage dans les toilettes des bars hip de Södermalm ou qu'on lèche les vitrines du très tendance SoFo (South of Folkkungagatan), la qualité du stylisme est légion, à Stockholm. Une chaîne de boutiques, DesignTorget, permet même à des créateurs montants de louer un coin de comptoir pour exposer et écouler leurs trouvailles, toujours conçues suivant les arcanes du design suédois: fonctionnalité, simplicité et élégance.

Si la Suède en général, et Stockholm en particulier, est si réceptive au design efficace, sans chichi ni flafla, c'est au moins en partie à cause de l'hégémonie du protestantisme luthérien, source de retenue et de sobriété. «Mais notre obsession nous vient surtout de l'Exposition universelle de 1897, et aussi de la volonté de rendre le design accessible à tous», insiste la guide Birgitta Ekblom.

Rien là de bien surprenant: dans cet archétype de social-démocratie qu'est la Suède, l'équité est un maître mot. De façon générale, hommes et femmes sont plus égaux ici que n'importe où ailleurs dans le monde, y compris au Parlement et à la mairie de Stockholm, ce qui transparaît derrière les murs du ténébreux mais remarquable Stadshuset, l'hôtel de ville. Ainsi, aux côtés de la sublime Reine du lac Mälaren — une mosaïque formée de millions de fragments de feuilles d'or —, le buste des artistes et artisans qui ont contribué à embellir la ville y ont leur place. Y compris celui de l'architecte naval qui a conçu le Vasa, un très mauvais exemple de design suédois.

Vasa en vase clos
Par un sémillant matin calme d'août 1628, le Vasa, fleuron flambant neuf de la flotte royale suédoise, quitte le port de Stockholm pour sa première sortie en mer. Une vingtaine de minutes plus tard, après avoir franchi à peine 1300 mètres, le gigantesque navire de 69 mètres chavire comme une vulgaire chaloupe avant de couler à pic en moins de cinq minutes. Inhabituellement élevé (cinq ponts au lieu de quatre) et lourdement chargé de canons sur les ponts supérieurs, le flamboyant vaisseau de guerre manquait vraisemblablement de lest au fond de ses cales.

En 1961, soit 333 ans après son naufrage, le Vasa a été soigneusement extirpé des eaux et de la vase — un nom prédestiné? — au terme d'efforts titanesques, avant de subir une cure de restauration de 17 ans. Il faut voir ce navire colossal, aujourd'hui exposé dans le Vasamuseet, pour saisir toute l'ampleur de ce qu'a dû être le renflouement de ce prodigieux bâtiment.

Protégé de la dégradation par la faible teneur en sel des eaux saumâtres qui baignent Stockholm et exposé dans un immeuble spécialement conçu pour lui, le Vasa est le seul navire du genre qui soit aussi bien conservé.

Outre sa poupe merveilleusement ornée, ses dimensions démesurées font de ce trois-mâts un chef-d'oeuvre de gigantisme, surtout pour l'époque: 1000 chênes, 13 500 pièces et 700 effigies sont entrés dans sa construction.

Hélas, le Vasa est désormais pris en otage par les éléments: du soufre, qui s'est incrusté dans le bois du navire lors de son séjour sous-marin, est en train de se transformer en acide sulfurique, catalysé par la rouille des pièces de fer issues de la restauration. Et cette fois-ci, les conservateurs du musée sont loin d'être ravis; il y a même fort à parier que le syndrome de Stockholm n'aura aucune emprise sur eux...

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En vrac

- Au départ de Montréal, plusieurs transporteurs desservent Stockholm via les grandes villes européennes (Londres, Amsterdam, Francfort, Zürich), mais c'est via Paris, avec Air France (www.airfrance.ca), qu'on compte le plus de liaisons (au moins deux par jour).

- Quelques suggestions pour pioncer: le Clarion (Ringvägen 98, Södermalm, www.clarionstockholm.com), un «art hôtel» étonnamment chaleureux pour sa taille (532 chambres); le Rival, copropriété de Benny, ex-ABBA (Mariatorget 3, Södermalm, www.rival.se); le très stylé Nordic Light Hotel (Vasaplan 7, Norrmalm, www.nordichotels.se). Dans un registre plus abordable, l'auberge de jeunesse de Stockholm vaut autant le coup que le coût puisqu'elle est aménagée sur un ancien voilier de la marine suédoise. www.stfchapman.com.

- À voir notamment: le Livrustkammaren, musée des armures royales qui loge sous les voûtes du Kungliga Slottet (château royal); l'admirable dentelle de fer de la flèche de la Riddarholmskyrkan; et Junibacken, parc thématique sur Astrid Lindgren, pour les nostalgiques de Fifi Brindacier.

- Pour les aficionados de design, sus au Musée national (www.nationalmuseum.se), doté d'un bel échantillonnage qui remonte à 1900, et à l'une des cinq boutiques Design Torget (www.designtorget.se).

- À voir aussi: le musée Nobel, remarquable aréopage high-tech de tous les lauréats des prix remis par la fondation née à Stockholm en 1900. On y met aussi en évidence quelques absurdités entourant le Nobel de la paix, remis à Henry Kissinger mais pas à Gandhi, pourtant plusieurs fois candidat. www.nobel.se/nobelmuseum.

Collaborateur du Devoir

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L'auteur était l'invité d'Air France.

Revue de presse publiée par Jacques Lanciault.

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