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Fév/03
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On ne sait jamais tout!

Texte de création de Jacques Lanciault dans le cadre d’un cours de rédaction à l’Université de Montréal.

« D’emblée, Sylvain me parle de son angoisse. Il a 30 ans et n’a jamais douté avant aujourd’hui, de l’amour qu’entretenait pour lui son amie de coeur. » Pourtant, le comportement récent de sa compagne a semé le doute dans son esprit. Il est tourmenté et ne sait qu’en penser, encore moins que faire. Il lui faut se confier et c’est à moi, son meilleur ami, qu’il s’ouvre.

Oui, Sylvain et moi sommes les meilleurs amis du monde. D’aussi loin que je me souvienne, cette amitié a toujours été présente. Même si avec le temps, nos vies ont pris des tangentes fort différentes, lui romancier, moi comptable, jamais notre amitié n’en a subi les contrecoups. Je ne fus donc pas surpris de recevoir son courriel me fixant rendez-vous, pour ce soir, dans un petit bistro du quartier. Cependant, la teneur du message m’a inquiété : « J’ai un urgent besoin de te parler, c’est au sujet de Brigitte. »

Sylvain venait à peine de fêter son vingtième anniversaire de naissance lorsqu’il a rencontré Brigitte, une jolie rousse de deux ans son aînée. Elle occupait un poste important dans une boîte de communications. Ils se sont plu dès le premier regard. À peine trois mois après leur rencontre ils emménageaient ensemble. D’eux se dégageaient amour et tendresse.

Dès mon arrivée Aux héritiers, le lieu de notre rendez-vous, j’ai dû me rendre à l’évidence, Sylvain ne tenait pas la forme des grands jours. Généralement débordant d’énergie, enjoué et très expressif, ce soir Sylvain avait pris place au bar, l’air hagard, replié loin dans ses pensées. Son trouble ne faisait pas de doute.

Mon arrivée n’a rien modifié à son attitude, hormis qu’elle lui a permis de quitter ses pensées lointaines. Après l’avoir salué, je n’ai rien trouvé de mieux à dire que : « Mais qu’est-ce qui ne va pas? »

Après un long silence, il m’a regardé, puis laissa tomber : « Brigitte est sur le point de me quitter. »

Brigitte et Sylvain, les plus beaux amoureux du monde, le couple le plus solide de mon entourage. Difficile de les imaginer ne vieillissant pas ensemble. Je suis médusé. Comment les choses avaient-elles pu en arriver là?

Sylvain continuait : « depuis quelques semaines, elle est secrète, elle m’évite, elle me fuit. Pourtant, rien de fâcheux ne s’est produit entre nous, aucune dispute, même pas un petit désaccord. Maintes fois je lui ai demandé ce qui n’allait pas et toujours la même réponse : “ça va”.

« Et ce matin, le coup de grâce : Un message téléphonique lui confirmant sa réservation sur un vol à destination de… Kuala Lumpur. Tu imagines, en Malaisie, elle qui se refuse même à visiter l’Europe. »

Je ne savais que dire, son trouble était si grand, je ne trouvais pas les mots. Tout en réfléchissant, j’ai détourné la tête et… je l’ai vue! Brigitte, elle se tenait dans l’embrasure de la porte, juste devant moi. Nos regards se sont croisés, elle m’a souri et s’est dirigée droit vers nous.

Sylvain, qui me regardait, a dû voir sa belle dans mes yeux, puisqu’il s’est retourné brusquement. Il s’est levé, a fait un pas vers Brigitte et ils sont tombés dans les bras l’un de l’autre. Après un long baiser passionné, comme celui des condamnés à mort, ils se sont glissés sur la banquette en face de moi.

Brigitte s’est immédiatement mise à parler. « Je n’ai pas été la meilleure des compagnes ces derniers temps. Excuse-moi, je t’aime et jamais je n’ai voulu te faire souffrir. Mais, au moment où je m’y attendais le moins, mon passé revient me hanter. Tu ne sais pas tout de moi. Il est temps pour moi de te révéler une portion cachée de ma vie et certes pas la plus belle. »

Après un moment d’hésitation, elle reprit : « À 18 ans, l’âge de l’insouciance, j’ai accepté de prêter mon nom à un simulacre de mariage avec un Malaisien. Même si celui dont je suis devenue l’épouse légale a été très généreux pour obtenir ainsi le droit de demeurer au pays, je n’ai jamais réussi à effacer le sentiment de honte qui me dévastait. Les années ont fui, tu es entré dans ma vie. Je commençais à oublier.

« Puis, il y a quelques jours, on m’a informé du décès de mon époux dans son pays. Je devenais sa seule héritière. Les gens chargés de la succession m’ont prévenue : "il vous a légué une petite fortune ".

« Au cours de ces semaines où j’étais la seule à savoir, mon for intérieur a été le théâtre d’un violent combat. J’ai beaucoup hésité à accepter cet héritage inattendu qui m’obligerait ainsi à étaler au grand jour un pan de ma vie que j’aurais tant voulu taire. Mais, j’ai pensé à nous, encore jeunes et habités par de si beaux projets. Ce magot inopiné nous permettrait de réaliser tant… évidemment si tu le veux. »

Abasourdi par la révélation de Brigitte, Sylvain hésita un instant puis se jeta littéralement au cou de sa princesse ne cessant de répéter « oui, oui, oui. »

Brigitte, en larmes, lui répondit, « Si tu savais comme il fait bon de ne plus être seule à savoir. » Oubliant ma présence, ils ont continué à s’embrasser, chacun délivré d’un poids immense.

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